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Verrerie ouvrière d’Albi : le PCF propose et agit

Par Lafaurie Anne, le 31 August 2018

Verrerie ouvrière d’Albi : le PCF propose et agit

Le 27 septembre dernier, une rencontre publique a eu lieu à Albi avec Pascal Savoldelli, sénateur communiste du Val-de-Marne, à propos de l’emploi dans le Tarn

et dans la région, et tout particulièrement à propos de la Verrerie ouvrière d’Albi, descendante de la célèbre verrerie coopérative de Carmaux défendue par Jaurès.

Cette rencontre s’inscrit dans un travail de longue durée décidé par la section du PCF d’Albi dont l’ambition est de reprendre une activité politique à l’entreprise. La Verrerie d’Albi a été la première ciblée pour son plan de déploiement, compte tenu de son caractère historique, de son ancrage dans la ville, de l’attachement de la population à celle-ci et à son avenir.

Le PCF a d’abord alors engagé des rencontres avec les syndicalistes de l’entreprise. Des rencontres préparatoires ont donné lieu à des échanges importants sur l’avenir très incertain du groupe Verallia, auquel appartient la Verrerie d’Albi. En effet, le groupe a fait l’objet d’un LBO en 2015 et le fonds d’investissement Apollo, devenu actionnaire majoritaire, a l’intention de revendre ses parts rapidement, compte tenu de sa seule ambition : la rentabilité financière. Par ailleurs, on sait déjà que le groupe portugais Ferreira Barbosa serait intéressé par le rachat de Verallia, mais pour en extraire les atouts (dont le savoir-faire) à son service.

Ce qui est en jeu pour les mois et années à venir : l’emploi et l’avenir du groupe en France et en Europe.

La CGT Verre et Céramiques a formulé des propositions pour l’avenir du groupe qui ont eu un écho important dans la presse. De son côté, le PCF d’Albi est de plain-pied dans un débat essentiel, articulant des questions économiques et politiques posées par l’avenir du groupe.

Avec la section économique, une étude rapide est produite qui permet de mettre au jour les mécanismes de ponction des richesses créées par les salariés-es pour les actionnaires du groupe Apollo et pour rembourser la dette générée par le LBO. Elle rend visible clairement le coût du capital. Nous la publions dans ce numéro. L’étude met aussi en évidence l’opacité dans laquelle les conditions de l’achat réalisé au Luxembourg, demeurent, autant pour les salariés-es et leurs élus, que pour les populations et les élus de la nation, malgré la participation de BPI France (Banque publique d’investissements) qui est devenue à ce moment actionnaire à hauteur de 10 %. Enfin, l’étude permet de construire des propositions d’alternatives économiques pour reconquérir un avenir viable du groupe une fois débarrassé de la prédation du fonds Apollo. L’idée est de profiter de ce changement à venir pour imposer un nouveau montage économique possible qui promeuve une nouvelle logique économique.

Ces propositions s’appuient sur un montage vertueux, dont la logique serait la création de valeur ajoutée et son utilisation au service de l’emploi, de la formation, du développement économique des régions et de l’investissement dans la recherche, en liaison avec les grands enjeux écologiques et le rôle que les emballages en verre pourraient jouer dans ce domaine.

Le jour de l’initiative publique, les syndicalistes de l’entreprise ont permis une visite de celle-ci à Pascal Savoldelli qui a pu apprécier la modernité de l’entreprise, les conditions de travail des salariés mais aussi l’attitude réactionnaire de la direction qui prétendait lui interdire la visite, considérant qu’un élu de la nation n’a pas à s’ingérer dans les affaires d’une entreprise privée. Aussi, Pascal Savoldelli a-t-il posé la question de l’utilisation du CICE dont bénéficie l’entreprise, question qui n’a pas de réponse à ce jour.

Mais l’essentiel s’est évidemment joué ailleurs. En effet, pour préparer la rencontre publique, un 4 pages portant sur nos propositions a été diffusé sur la zone d’activité et dans l’entreprise. Puis, une une délégation du PCF (du Tarn, de la section d’Albi, Anne Lafaurie pour la commission économique et Pascal Savoldelli) avec les représentants syndicaux CGT de l’entreprise.

A cette occasion, ceux-ci ont manifesté leur appréciation positive de l’initiative du PCF.

Ils ont souligné que les propositions formulées par la commission économique du parti diffusées dans l’entreprise ont reçu un accueil positif, d’abord parce qu’elles témoignent d’un réel intérêt du Parti communiste pour les salariés-es, ce qui n’est pas le cas des autres partis politiques qui se sont contentés de paroles mais sans aucun acte concret. C’est d’ailleurs le cas avec Macron qui a visité l’entreprise pendant sa campagne (lui d’ailleurs dans ce contexte a obtenu le droit de visiter l’entreprise !). Néanmoins, ils ont aussi témoigné d’un doute persistant et réel à l’égard des politiques en général, et de la politique, singulièrement à partir du fait que la politique semble totalement impuissante face aux pouvoirs énormes de la finance.

Le débat, autant dans l’entreprise que dans la rencontre publique qui se tenait dans la zone d’activité le même jour, a porté sur ces questions. Et l’apport de notre parti et de notre sénateur sur l’articulation entre les objectifs de lutte concrète pour l’entreprise et une conception de la société, avec un rôle tout à fait nouveau des salariés-es et des populations a suscité un intérêt réel, en posant les bases d’une intervention ciblée et efficace.

Le fait de formuler des propositions économiques précises pour l’avenir du groupe, à partir de l’analyse des méthodes de prédations du fonds Apollo sur les richesses créées par les salariés-es du groupe, a permis d’aborder frontalement d’une part ce que veut dire concrètement le coût du capital pour une entreprise et pour les régions. D’autre part, la définition d’objectifs précis pour reconquérir une entreprise productive efficace et utile pour les salariés et les populations a montré qu’on peut agir au plan économique par volonté politique.

Certes, organiser la lutte sur ces objectifs demeure une question chargée d’incertitudes. Mais le fait qu’il n’y a pas de solutions clé en main aujourd’hui dans le cadre de ce système oblige à réfléchir à la manière de construire un rassemblement efficace pour se faire entendre. « On est dans une période de scepticisme massif où l’action politique provoque l’écœurement. Notre volonté, c’est de redonner confiance aux gens dans leurs propres capacités à imaginer l’avenir », insistait Pascal Savoldelli, lors de la conférence de presse donnée dans la matinée précédant l’initiative dans l’entreprise et la rencontre publique. Cette phrase fut relevée par la presse locale, qui ne s’est pas trompée sur la portée de notre ambition et celles de nos propositions. Elle a d’ailleurs relevé que nous ne nous contentons pas de proposer une nationalisation. L’article souligne que : « l’idée c’est que le groupe Verallia peut acquérir son indépendance… en partant du projet industriel et en se dégageant de la démarche spéculative ». En effet, nos propositions montrent qu’il faut un crédit accordé par une ou plusieurs banques publiques ou privées, pour financer le rachat par Verallia France des actions détenues par Apollo à travers Verallia Packaging.

Pour faciliter l’opération, le taux de ce crédit pourrait être réduit par une bonification d’intérêts versée par les collectivités territoriales concernées (en principe, la région, collectivité compétente en matière d’interventions économiques). C’est le principe des fonds territoriaux pour l’emploi et la formation proposés à l’article 10 de la proposition de loi « entreprises et territoires ».

Il est désormais public que le groupe Verallia peut s’extraire de la pression du capital et des critères de celui-ci.

La présence à 10 % dans le capital et le rôle de la BPI dans Verallia ont été discutée s: c’est une banque publique mais dont on voit qu’elle fonctionne sur les mêmes critères que ceux du capital. Cependant, réorientée, elle peut devenir un levier pour un nouveau type de développement du groupe industriel. Cela peut se réaliser avec l’intervention des salariés-es et des populations. Idem pour la Caisse des dépôts… Pour le moment, il a été souligné largement que la BPI doit des comptes de transparence aux salariés-es du groupe ainsi qu’aux populations et leurs élus. La décision a été prise de l’interpeller en région, par les représentants de la CGT dans ses commissions régionales d’orientation partout où des entreprises du groupe existent, et au plan national par l’intermédiaire de Pascal Savoldelli. L’interpellation porte sur le montage du LBO, les banques qui y ont participé, quelles parts elles devraient prendre quand le LBO sera débouclé, et le montant de la dette en cours.

Ainsi, à partir de ces multiples questions, l’enjeu de la conquête des pouvoirs nouveaux des salariés-es et des populations sur les entreprises et les banques (publiques ou privées) a pris un relief concret. Le lien avec le projet politique du PCF de sécurisation de l’emploi et de la formation est devenu plus clair dans la discussion.

Ainsi, il a été réaffirmé que le projet industriel relève de l’intervention des salariés-es à partir de leur expérience et leurs savoir-faire. Il s’agit de l’articuler aux exigences d’améliorations des conditions de travail, de rendre tous les sites pérennes, ainsi que de développer des partenariats industriels pour développer la production en France et en Europe.

Nos propositions s’articulent autour de propositions de loi déposées : « loi Chassaigne » concernant la sécurité d’emploi et de formation, ou en cours d’élaboration : loi d’expérimentation « entreprises et territoires », qui propose d’articuler l’entreprise et le territoire, à partir d’une notion d’entreprise menacée, ce qui est de fait le cas du groupe et de la verrerie, en s’appuyant sur la possibilité d’expérimentation qui existe depuis 2004. Dans les deux cas, il s’agit de promouvoir de nouveaux critères de gestion des entreprises, fondés sur l’amélioration des conditions de travail, d’emplois de rémunérations ainsi que le développement économique des territoires assortis de pouvoirs nouveaux pour les salariés et les populations avec leurs élus. Il s’agit de promouvoir une tout autre conception du développement économique fondé sur la promotion des salariés, l’économie en capital fixe et de capital financier.

Concrètement, pour la verrerie et le groupe, ces critères doivent prédominer dans les solutions après Apollo et ceux-ci devront aussi guider les relations avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise pour développer une nouvelle vitalité économique sur les territoires concernés par le groupe.

La priorité doit devenir l’emploi et la qualification des salariés dans le groupe et les partenaires et fournisseurs et non la rémunération des actionnaires.

Des propositions précises pour des convergences de luttes

Et sur ces objectifs, les convergences de lutte peuvent se construire de façon efficace. C’est sur ces éléments que la question du rassemblement politique a pris alors tout son sens. Ainsi, cette initiative a aussi montré combien le politique et l’économique sont intimement liés, et qu’il est possible d’agir sur ces questions, si on cherche à s’en emparer.

Elle a aussi permis de mesurer l’importance du déploiement précis du PCF en direction des entreprises et du rôle essentiel que notre parti peut jouer, en s’appuyant sur nos atouts, le rôle de nos élus, l’action de la commission économique, l’action du Parti sur le terrain, tout autant pour proposer des solutions, organiser l’action et construire sur les bases de classe, un rassemblement populaire qui devienne incontournable. Elle a mis en lumière aussi le besoin de formation pour les militants communistes sur ces questions afin que nous soyons plus forts pour intervenir dans le champ de l’entreprise. Il est d’ailleurs utile de dire ici qu’à l’issue du débat public, le livre 7 leviers pour prendre le pouvoir sur l’argent de Denis Durand (éditions du Croquant, Paris, 2017) a été commandé pour être diffusé.

Cette initiative est, évidemment, un commencement ; rien n’est joué mais des pistes concrètes de lutte sont posées. La reprise de l’activité du Parti vers les entreprises a permis aux militants communistes d’Albi et du Tarn de prendre l’offensive, bien en amont des futures décisions sur le groupe. Ainsi, la lutte devient offensive, elle s’engage sur de nouveaux critères de gestion, sur un rôle nouveau des instruments bancaires, jusqu’à la BCE. Elle permet alors d’établir le lien entre les questions concrètes des salariés-es et les choix politiques à mettre en œuvre, ainsi que le rôle de notre parti effectif.

Un effort à poursuivre et à multiplier sans aucun doute ! 

 

En M€

2015

2016

Chiffre d’affaires

103

115

Achats de marchandises

15

28

Achats de matières premières

18

18

Autres achats et charges externes

35

31

- Consommations intermédiaires

67

78

% du CA

65%

66%

= Valeur ajoutée

35

36

 

 

Du nouveau dans les relations entre syndicalisme, bataille d’idées et parti politique révolutionnaire

Par Chassaigne André, Lesage Valérie, Zamichiei Igor , le 31 August 2018

Du nouveau dans les relations  entre syndicalisme, bataille d’idées  et parti politique révolutionnaire

Le 14 septembre dernier, à la fête de l’Humanité, un débat très suivi réunissait au stand de la fédération de Paris du PCF Igor Zamichiei, secrétaire de la fédération et responsable du Projet à l’exécutif national du parti, Valérie Lesage, secrétaire de l’Union régionale Île-de-France de la CGT et André Chassaigne, chef de file du groupe des députés communistes et président du groupe Gauche démocratique et républicaine de l’Assemblée nationale. Nous publions leurs interventions car elles font partie d’une série de signes qui témoignent, dans le contexte de la préparation du congrès extraordinaire du PCF, de la possibilité d’une nouvelle cohérence entre luttes syndicales, batailles d’idées pour des perspectives de transformation révolutionnaire de la société et action du Parti communiste dans les institutions.

André Chassaigne 

C’est en « jouant notre basket » que nous pourrons créer des rassemblements pour peser sur le cours des choses.

Les difficultés actuelles du travail parlementaire doivent être replacées dans la perspective d’une volonté politique, extrêmement affirmée de la part du pouvoir, d’affaiblir la voix parlementaire. Cela passe par des moyens très divers : d’abord, la façon de travailler où on réduit le rôle des députés à ce qui devrait être, pour le pouvoir, celui de simples exécutants. On a affaire à l’Assemblée nationale, avec cette nouvelle majorité, à des députés qui sont en fait les porte-voix de l’exécutif, qui ne remplissent absolument pas la fonction parlementaire, où la fabrication de la loi se résume à décliner ce qui a été décidé par le président de la République. C’est pourquoi, dans le débat de la motion de censure, j’avais utilisé une expression pour définir les députés de la majorité « En Marche », où je les ai décrits comme « de simples digéreurs, intestins silencieux de la bouche élyséenne ». Ils sont là pour recracher ce qu’on leur demande d’avaler à partir de l’Élysée. Il est bien évident que derrière l’anecdote se profile une volonté de faire évoluer la Constitution pour affaiblir considérablement le pouvoir législatif, pour que la riposte populaire ne puisse plus être portée par des parlementaires en lien avec leur territoire, avec la population, avec les luttes sociales.

On voudrait nous limiter à une discussion générale, à porter un discours, faisant certes valoir nos perspectives politiques ou notre analyse d’un texte qui nous est proposé, mais surtout à porter atteinte au droit d’amendement, au travail parlementaire. C’est pourquoi, dans le cadre de cette réforme constitutionnelle, une bagarre que nous menons, portée par le parti dans son ensemble, est celle d’un référendum. Il faut que ce soit au peuple de France de pouvoir trancher sur l’évolution de la Constitution et sur les coups qui sont portés, notamment au pouvoir législatif. Si je cite l’exemple du référendum, c’est pour bien montrer que l’action des élus et des parlementaires en elle-même ne pèsera jamais s’il n’y pas derrière, bien évidemment, la mobilisation d’une organisation politique comme le Parti communiste français – on a besoin d’une organisation politique qui ait sa place dans le paysage politique parce qu’il y a des enjeux énormes aujourd’hui – et des actions collectives pour mobiliser le peuple : c’est l’objet de la grande bataille que nous voulons mener sur le référendum.

La chance de disposer d’un groupe communiste à l’Assemblée

On a la chance, depuis un an, de disposer à l’Assemblée d’un groupe parlementaire avec 11 députés communistes. Constituer ce groupe était pour moi et pour d’autres un enjeu extrêmement important. On avait besoin qu’il y ait une voix du PCF à l’Assemblée nationale, et pour cela il fallait composer un groupe parlementaire avec en son sein une composante exclusivement constituée de députés communistes, de façon à pouvoir parler comme communistes quand nous montons à la tribune – ce que l’on ne pouvait pas faire avant, et ce qui affaiblissait notre discours. J’ai utilisé, pour l’expliquer à l’université d’été du Parti communiste, une citation d’Aragon. Il est vrai qu’au début, quand on a constitué ce groupe, ça pouvait faire sourire. D’autres auraient voulu qu’on soit englobés dans un groupe sous l’autorité d’autres, en estimant que notre composante aurait pu vivoter au sein d’un groupe beaucoup plus important qui aurait représenté la « gauche radicale ». C’est ce qui m’avait fait reprendre ces deux vers d’Aragon : « on sourira de nous d’avoir aimé la flamme/au point d’en devenir nous-mêmes l’aliment ». Je pense qu’en constituant ce groupe nous avons été l’aliment d’une flamme, celle du Parti communiste français.

On l’a fait certes dans un contexte vraiment difficile, d’un recul électoral sans précédent, avec une forme de blessure de voir « où on en était rendus ». Mais on a considéré que cette blessure, il fallait la transformer en espoir, en idéal, en désir – pour citer à nouveau Aragon. Qu’on redonne du goût à notre combat, au travail des députés communistes, et qu’on soit avec d’autres un levier du renouveau de notre parti, que la spirale de l’effacement s’arrête et que l’on pèse de nouveau dans le paysage politique français. Parce que je pense, et je ne suis pas le seul, qu’on a besoin d’un PCF fort au regard des enjeux nationaux, des enjeux européens, des enjeux de la planète. Et pour cela, l’organisation politique qui est la nôtre est absolument indispensable, à nous de la faire vivre.

C’est en quelque sorte ce que nous avons ressenti comme le refus de la dépossession du mot communiste. Entre nous, les 11 députés communistes, nous avons des analyses différentes sur le devenir du parti, des sensibilités différentes, des vécus, des expériences différents mais ce que je peux dire c’est que pas une fois les différences d’analyse n’ont été un obstacle à notre combat. Ce qui est primordial, c’est la fraternité et quand on est communiste on est capable d’avoir des divergences et de construire ensemble. Je crois que ce qu’on a fait au sein du groupe, on est capables de le faire à une autre échelle.

La compréhension du capital est indispensable pour notre politique

Bien évidemment, cette démarche doit s’accompagner d’une analyse politique de fond. Il ne s’agit pas de s’attaquer seulement à un pouvoir auquel on pourrait donner des noms par raccourci, en disant que notre adversaire c’est uniquement l’« oligarchie ». Mais non, derrière tout ça, il y a l’analyse que l’on doit faire d’un pouvoir politique, la prise en compte du pouvoir de l’argent. Et quand par exemple on analyse le budget qui va être proposé pour 2019, c’est la concrétisation de choix politique ultralibéraux. Quand on nous dit qu’il faut réduire les dépenses publiques, ce n’est pas l’oligarchie en elle-même qui veut réduire les dépenses publiques, c’est tout simplement parce qu’on utilise le déficit de la France comme un instrument, sans dire qu’il fait que chaque année on va payer 43 milliards d’euros qui vont aux marchés financiers, sans même se poser la question de l’origine de ces emprunts et de leur légitimité. Il y a dernière tout cela une analyse politique à faire. Quand on veut alimenter les multinationales, quand on supprime l’impôt sur la fortune, quand on développe le CICE, quand on balance l’argent à fonds perdu, cet argent il faut bien le trouver quelque part. On le trouve dans la réduction des dépenses publiques et on le trouve en allant faire les poches des plus humbles, et en particulier des retraités avec l’augmentation de la CSG. Donner du sens, pas seulement au niveau d’une analyse parlementaire ni s’attacher sur des chiffres, c’est essayer de donner les clés de la compréhension. Le meilleur outil pour cela, c’est la lutte, c’est l’action, c’est le mouvement – mais dans la durée, pas quelque chose de court-termiste. La compréhension du capital est indispensable pour notre politique. Pour cela il faut des actions, mais il ne faut pas les abandonner au bout de trois mois. Il faut les maintenir très longtemps si on veut faire évoluer les consciences, créer le rapport de forces. Sinon on ne changera jamais le système.

La notion de stratégie telle que nous la concevons, nous parlementaires communistes, j’en ai personnellement retenu trois mots. On a un objectif, être le plus efficaces possible contre la politique libérale. On n’a jamais vécu une politique aussi à droite. Il existe des alternatives politiques qu’il faut travailler, expliquer. Un principe pour l’ensemble du Parti communiste et des progressistes : il faut que nous soyons nous-mêmes. Qu’on arrête d’être tétanisés par ce que peuvent penser les autres et leurs façons de faire. Nous avons notre analyse, nous devons peser dans la société, « Jouons notre basket » et c’est à partir de là qu’on pourra créer des rassemblements qui permettront de peser sur le cours des choses. Troisième idée, c’est une pratique : chaque fois qu’on le peut, créer des convergences. Pas des associations d’appareils mais faire la clarté dans les différences, sans gommer les différences. Depuis un an, c’est ce que nous avons fait chaque fois que nous l’avons pu. On a saisi sept fois le Conseil constitutionnel : il fallait les signatures des socialistes, des Insoumis, on les a eues. Pour la motion de censure, le travail que nous avons fait nous a permis de déposer une motion de censure commune entre les trois groupes de gauche, qui nous ont confié la première place pour nous exprimer au nom des trois groupes parlementaires. Tout cela ne vient pas d’une instrumentalisation politique mais d’une pratique qui n’est pas un repli sur soi, ni une pratique de boutiquier. Ce qui nous intéresse, c’est le peuple, l’efficacité de notre action politique. C’est de pouvoir peser sur le cours des choses. Si demain on veut bousculer l’organisation de notre pays, le système politique, l’organisation du monde, on ne le fera pas tout seuls, on le fera avec d’autres, on le fera sur la base de la clarté, on le fera en étant respecté et en étant respectueux des autres.

Valérie Lesage 

Le vrai danger social, c’est la cohérence des politiques menées depuis des décennies, qui détruit les conquis sociaux.

Car il s’agit bien d’une avalanche de mesures et de lois délibérément conçue dans un état d’esprit de « guerre éclair » à faire subir au monde du travail, que Fillon ne s’était pas caché de vouloir mener et que Macron, en homme de la finance et en président des riches, poursuit, accélère ouvertement, sans complexe et avec tout le mépris que nous lui connaissons !

Si l’on met bout à bout l’ensemble des lois et projets de loi voulus par ce gouvernement, on voit bien, il me semble, que Macron, son gouvernement et sa majorité de députés godillots, jugent la période propice à faire basculer dans le néant l’ensemble des conquêtes sociales !

Et ils s’appuient pour cela sur toutes les lois régressives imposées depuis trente ans, et particulièrement ces trois derniers quinquennats, de 2002 à 2017, qui ont vu s’accélérer et s’intensifier les politiques d’austérité et de remodelage social réactionnaire. Quelques exemples : loi Rebsamen, Pacte de solidarité et de croissance, loi Sécuritaire, loi El Khomri, loi Travail, les lois santé successives…

La politique de Macron sape les piliers sociaux de la société française

Nous le voyons bien, les services publics, le droit du travail, la Sécurité sociale, ces trois piliers de la société française qui ont donné une portée concrète aux valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de solidarité, sont minés, sapés, dynamités sous l’effet de bombes à retardement que sont respectivement :

– les directives européennes de mise en concurrence des services publics avec la complicité active de chaque État membre, la France notamment ;

– les lois de dérégulation du droit du travail et les dernières en date, les lois El Khomri et les ordonnances Macron ;

– toutes les lois qui, à la suite du plan Juppé, ont poursuivi inlassablement l’extinction de la démocratie sociale et la remise en cause de la cotisation sociale pour faire monter la fiscalisation comme mode de financement, détruire le système actuel issu du Programme national de la Résistance et assis sur la solidarité.

Macron estime que la structuration de nos droits sociaux a été suffisamment massacrée pour qu’il puisse faire effondrer toute l’architecture des progrès sociaux conquis depuis un siècle, et particulièrement ceux gagnés à partir de la Libération en 1945. (Cf. Denis Kessler.)

Le gouvernement poursuit donc son objectif en cette rentrée : dans l’agenda social, plusieurs dossiers qui, selon ce que nous pourrons faire reculer et gagner ou pas, changeront concrètement et durablement la vie des salariés, des fonctionnaires, des retraités, des privés d’emploi et plus largement des populations.

– En septembre, l’Assurance chômage, avec la volonté affichée du gouvernement d’introduire une dégressivité des allocations chômage, et une nouvelle fois de passer par-dessus la négociation paritaire, organisations syndicales des salariés et patronat, avec cette volonté d’étatiser l’assurance chômage, la Sécurité sociale en transformant la cotisation sociale en impôt tout en dédouanant le patronat.

– En septembre et octobre, santé au travail et qualité de vie au travail, après la casse de la médecine du travail, l’aggravation des conditions de travail et la perte de sens donné au travail, de nouvelles dégradations seront à l’ordre du jour sous couvert de modernisme.

– En débat, PLFSS et plan santé également dans cette période.

– En novembre, services publics avec CAP 2022, là aussi une casse programmée des services publics, éloignement des citoyens, couplée avec l’absence de réponse aux besoins de la population sous couvert de modernité.

– Et bien entendu le dossier retraite, avec une volonté affichée de changer de système, avec la perspective du vote de la loi au premier semestre 2019.

Pour nous syndicalistes, nous aurons à porter le fer sur ces dossiers à enjeux nationaux, dans un contexte de négociations et de mise en place des CSE, d’élections (Fonction publique, RATP, SNCF…), et de luttes dans les entreprises pour l’emploi, les conditions de travail et les salaires, pour contrer la poursuite annoncée de la casse de l’emploi, avec les suppressions prévues et à venir, les ruptures conventionnelles collectives…

Une bataille de reconquête de la Sécurité sociale est lancée. La retraite sera en son cœur, pour contrer les velléités patronales et gouvernementales.

Celle sur le le coût du capital et la nécessité des 32 heures, d’augmenter les salaires, traitements, pensions et minima sociaux.

La CGT porte bien entendu de nombreuses propositions, revendications sur tous ces dossiers, et mènera les campagnes nécessaires pour la prise de conscience et l’organisation de ripostes tout en restant à l’offensive.

Des journées d’action, de grève, de manifestation sont déjà inscrites dans notre calendrier syndical : le 18 septembre chez les cheminots, le 3 octobre chez les retraités, le 4 octobre dans la santé et l’action sociale, et le 9 octobre la journée nationale interprofessionnelle d’actions, de grèves et de manifestations, journée unitaire CGT, FO Solidaires avec les organisations de jeunesses UNEF, UNL, Fidl. À Paris, la manifestation s’élancera à 14 heures de Montparnasse. La matinée sera destinée aux actions locales, dans les entreprises et les services avec des dépôts de cahiers revendicatifs élaborés avec les salariés.

Notre responsabilité, aujourd’hui comme hier, est grande, celle de toute la CGT est engagée, comme celle de toutes les forces progressistes.

Nous avons besoin de réfléchir et de construire un processus permettant d’élever le rapport de forces pour l’amener à ce qui nous semble nécessaire, la multiplication des grèves massives, leur reconduction pour obtenir le blocage de l’économie, et faire plier le gouvernement et le patronat.

Repartir à la bataille des idées

Nous devons redonner confiance en la lutte collective, donner des perspectives au monde du travail, repartir mieux que nous l’avons fait ces derniers temps à la bataille des idées.

Pour cela, nous « alimentons » nos syndicats en argumentaires, journées d’études, documents pour qu’ils se réapproprient ou s’approprient nos analyses et nos propositions.

La guerre de classe menée par le gouvernement et le patronat avec le Medef comme moteur, doit nous amener à nous réinterroger sur nos stratégies et leurs mises en œuvre.

Mais nous sommes lucides sur le fait que seuls, même si notre responsabilité est grande, nous n’y arriverons pas. L’apport des politiques est indispensable, comme celui des associations ainsi que l’unité syndicale, que nous réussissons à préserver en Île-de-France, mais qui nationalement est quelquefois plus difficile.

Si nous sommes exigeants avec nous-mêmes, nous le sommes envers les partis de gauche.

Nous ne pouvons être considérés, comme certains le font, comme de seuls faire-valoir, bons à être récupérés et vite jetés en cas de difficultés ou d’échec, et désignés comme coupables de l’avancée du gouvernement sur ces réformes destructrices de notre modèle social. Cela ne permet d’aucune façon l’unité du monde du travail, ni celle de toutes les forces progressistes. Cela ne permet pas de sortir d’un sentiment de tambouille politicienne.

Certains se sont servis de la colère, de la défiance envers le politique pour, non pas construire autre chose, d’autres schémas collectifs, mais un dégagisme populiste qui dessert toutes celles et ceux qui veulent mener le combat contre le capitalisme mondialisé.

Mes craintes sont que, si nous n’y sommes pas vigilants, cette colère se tourne vers le populisme d’extrême-droite.

Nous avons besoin de partis porteurs d’un projet émancipateur dépassant le système capitaliste

Nous avons besoin de partis qui portent le projet d’une société émancipatrice, de justice sociale, dépassant le système capitaliste, porteurs d’un projet clair qui réponde aux attentes du monde du travail et des enjeux environnementaux.

Besoin de partis qui de par leurs propres campagnes aident le plus grand nombre à décrypter la cohérence des politiques gouvernementales et leurs effets néfastes, à l’échelle de la France mais aussi de l’Europe et du reste du monde. Besoin de partis qui aident à faire grandir au-delà de la colère des fronts de luttes, en redonnant espoir.

Nous avons besoin de partis qui sachent se rassembler et rassembler sur l’important, pour contrer le gouvernement et offrir des alternatives aux politiques libérales.

La CGT et le Parti communiste ont une longue histoire commune. Nous avons gardé le respect, les relations qui permettent l’échange et le partage des analyses.

Un Parti communiste fort nous est nécessaire, l’histoire l’a démontré.

Il nous reste à réfléchir ensemble, dans nos périmètres respectifs, à ce que nous sommes en capacité de mettre en œuvre. En partant d’où nous en sommes collectivement pour enclencher un véritable processus de bataille des idées et construction de luttes revendicatives fortes et convergentes, dans un climat de répression syndicale très fort et une baisse de la confiance accordée par le monde du travail – ou du moins d’une partie – dans les organisations syndicales mais aussi dans les partis politiques.

Les débats croisés, nos débats internes, je l’espère, nous amèneront à travailler ensemble, solidairement sur ce qui nous rassemble, à la construction de la riposte.

Aujourd’hui, ces femmes, ces hommes, de tous âges, venant d’horizons tellement différents, et qui font cette fête de l’Humanité, sont la démonstration qu’une force est prête à se lever !

Igor Zamichiei 

Dire non ne suffit plus,
il faut pouvoir dire oui à un projet
pour transformer la société française

Si des choses ont déjà commencé à changer dans le pays, si la politique du gouvernement est déjà perçue comme de plus en plus injuste, c’est parce qu’on a des syndicalistes comme Valérie, des parlementaires qui se mobilisent jour et nuit avec les travailleurs et les catégories populaires pour changer cette société. Pierre Laurent, dans son discours aux personnalités invitées à la fête, a donné à voir des aspects du projet de société que porte le Parti communiste, j’y reviendrai. Il a eu une phrase qu’il n’a pas eu le temps de développer mais qui est au cœur de notre débat d’aujourd’hui. Il a dit : « le communisme est à l’ordre du jour si les forces humaines en trouvent le chemin ». C’est sur cette question que nous butons, c’est d’elle que nous devons débattre aujourd’hui : par quelles actions syndicales, par quelles actions politiques nous pouvons créer le mouvement d’émancipation humaine que nous voulons. Répondre à cette question nécessite d’aborder trois choses.

D’abord, comprendre la nature de l’offensive capitaliste. Interroger les obstacles et les atouts du mouvement social aujourd’hui. Et puis, André a appuyé là-dessus, hisser nos organisations politiques et nos organisations syndicales à la hauteur des défis.

« Un chef d’État actionnaire »

Les annonces gouvernementales en cette rentrée sont d’une violence extrême. Il y a une indécence sur les retraites : donner tout à ceux qui ont déjà et prendre à ceux qui ont si peu. Acharnement sur les retraités, sur les familles populaires, sur les locataires. Et puis, des réformes systémiques : après la loi Travail, c’est la future réforme des retraites qui va être un combat majeur de l’année qui est devant nous. Cette politique confirme le changement apporté par l’arrivée de Macron au pouvoir. On n’a plus seulement affaire à un président de la République au service des intérêts financiers. On n’a plus seulement affaire, comme dans les deux quinquennats précédents, à des présidents qui servaient les intérêts de la finance. On a au pouvoir maintenant un chef d’État actionnaire qui est là pour changer les structures économiques, sociales, démocratiques du pays. On l’a vu avec la loi Travail : elle inverse la hiérarchie des normes, c’est comme cela qu’on change la structure économique. La future réforme des retraites veut briser ce principe communiste, ce principe de solidarité : « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Et que veut faire la réforme constitutionnelle sur laquelle a insisté André Chassaigne ? Elle veut profondément combattre tous les contre-pouvoirs qui existent encore dans notre société. Déjà affaiblir la démocratie parlementaire pour couper l’herbe sous le pied des quelques parlementaires comme André, des députés communistes qui se battent encore à l’Assemblée pour changer les choses, pour qu’il n’y ait plus que des députés godillots comme sont les députés « digéreurs » d’En marche qui mènent le pays à la catastrophe. Cette politique s’inscrit dans une reconfiguration de l’hégémonie capitaliste au plan mondial. Parce que la France n’est pas un cas isolé. Voyez l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, un autre homme d’affaires, à la tête de la première puissance mondiale. En fait, on est en train de vivre un véritable hold-up. Ce sont les capitalistes qui ont créé la plus grave crise économique et financière de ces dernières années, la crise de 2007-208. Ce sont eux qui aujourd’hui se parent des atours de la « nouvelle politique » pour essayer de renforcer leur pouvoir et, qu’ils s’affichent protectionnistes comme Trump ou mondialistes comme Emmanuel Macron, ils sont unis par les liens sacrés du marché. Et ce hold-up, il s’accompagne d’une offensive idéologique sans précédent. Une opération de maquillage qui vise à dissimuler cette alliance entre dirigeants néolibéraux et dirigeants d’extrême-droite. Dans cette alliance, on voit que ce sont les forces d’extrême-droite qui sont en train de prendre le dessus et de progresser partout dans le pays.

Et c’est pourquoi l’élection européenne va être un enjeu clé. Est-ce qu’on va laisser le Parlement européen aux forces d’extrême-droite ou est-ce qu’on va reconstruire une intervention au Parlement européen avec des forces communistes comme le PCF, avec des forces de gauche qui portent une autre politique de progrès social ? Je crois que c’est ça l’enjeu de l’élection et c’est pour ça qu’il va falloir, dans les mois qui viennent, être tous derrière la candidature de Ian Brossat pour le porter à la tête d’un mouvement politique dans le pays qui permette de transformer la société française. Et de répondre aux besoins des peuples européens. La question clé posée à toutes les forces du mouvement social dans ce contexte de mouvement identitaire est celle-ci : comment réhabiliter les enjeux de classe, jusqu’à ce qu’ils dominent les enjeux identitaires dans la tête de chaque travailleur, de chaque salarié ? C’est ça l’enjeu de notre combat politique.

Un immense effort de créativité politique sur les luttes et sur le projet

Alors, la première chose, c’est d’arrêter de commencer par la question des alliances électorales. Il faut arrêter de faire de notre rapport aux autres forces de gauche, la France insoumise en particulier, le point de départ de notre travail de rassemblement. Si on enferme le Parti communiste dans une alliance a priori avec telle ou telle force, avec la France insoumise, ou comme on a pu le faire un temps avec le PS, on ne sera pas en capacité de relever les défis du xxie siècle, on ne sera pas sur les deux seules questions qui nous permettront de créer un mouvement populaire dans le pays, qui sont les luttes et la construction d’un projet politique alternatif. Et nous ne réussirons un rassemblement victorieux que si nous le construisons à partir d’un immense effort de créativité politique sur les luttes et sur le projet. Et d’ailleurs, si on a réussi un début de rassemblement dans les premiers mouvements sociaux, face à la réforme de la SNCF par exemple, c’est parce qu’on avait des organisations syndicales, comme la fédération CGT des Cheminots par exemple, qui se battaient sur un projet de société, comme le projet Ensemble pour le fer et qu’on avait à l’Assemblée des députés, et tous les militants qui se mobilisaient dans la rue à leur côté, pour un authentique projet de société. Et maintenant, il faut poursuivre cette bataille-là. Elle va continuer de se mener ligne par ligne à tous les niveaux, et on peut encore la gagner dans les années à venir. Il faut qu’on pousse cette question des luttes et du projet politique que nous portons. Pourquoi est-ce que tant de luttes fondamentales échouent, du Printemps arabe il y a sept ou huit ans à la mobilisation contre la loi Travail, en passant par le mouvement des Indignés espagnols, les luttes environnementales, féministes… qui sont pourtant très puissantes ? Je crois qu’elles échouent pour deux raisons : pour la faiblesse du niveau de conscience de classe et parce qu’il y a un manque d’objectifs révolutionnaires partagés. C’est ça qu’il faut faire grandir aujourd’hui. Et le fait est, malheureusement, malgré tout le travestissement, que la grande majorité des luttes aujourd’hui sont des luttes de résistance. Nous devons réussir, forces syndicales et forces politiques, à les compléter par de nouvelles luttes offensives, des luttes positives sur un autre projet de société. Pour reprendre un mot de Naomi Klein, « dire non ne suffit plus, il faut pouvoir dire oui », oui à un nouveau projet de société, oui à un projet communiste pour transformer la société française. Cela demande deux choses : des campagnes qui réarment idéologiquement le mouvement populaire, qui permettent de se libérer de la pression de l’idéologie dominante, qui visent à unir les travailleurs qui ont des intérêts convergents mais qui sont aujourd’hui divisés par le capital qui vise à assurer ainsi sa domination. La question stratégique clé, c’est celle de l’unité du salariat. Celle de victoires idéologiques pour que chaque salarié ne fasse plus du poids de la dette, du coût du travail, de la mondialisation libérale autant de dogmes dominants qui sont aujourd’hui un horizon indépassable, mais qui, si nous arrivons à les faire sauter, permettront tous les espoirs et toutes les victoires possibles. Par exemple, nous avons besoin de campagnes de long terme, je pense à une campagne qu’on avait initiée et qu’il faudrait relancer en grand dans le pays : la campagne contre le coût du capital, la nécessité de s’attaquer aux dividendes et aux intérêts payés aux banques, faire de cette question une grande question politique dans le pays. Nous aurions besoin, pour unir les salariés, d’une grande campagne contre les discriminations qui touchent les femmes dans le monde du travail, les temps partiels subis, les carrières incomplètes, les bas salaires. Si on avait une campagne pour un grand projet féministe, ça contribuerait à unir le salariat, et je crois que c’est possible.

Le deuxième enjeu clé, c’est de construire secteur par secteur de puissants fronts de luttes et de projets autour d’objectifs de transformation sociale. Et c’est là qu’intervient le travail de construction d’un projet politique alternatif. Il y a au fronton de ce stand une phrase qui pourrait, je crois, pour chacun de nous, être une sorte de maxime de notre action. Elle est d’Ambroise Croizat, il l’a prononcée dans un de ses derniers discours à l’Assemblée nationale. Il disait : « le progrès social est une création continue ». Eh bien moi, je crois que c’est à ce défi que nous sommes confrontés au xxie siècle. Dans les semaines et les mois à venir, il va y avoir un enjeu décisif, la réforme des retraites. Sommes-nous capables de faire lever un grand mouvement dans le pays pour opposer à la société d’insécurité sociale que crée Macron un grand mouvement pour une sécurité sociale du xxie siècle ? Je parle du développement de la Sécurité sociale actuelle, de toutes ses branches, avec la prise en charge des soins à 100 %, à un renforcement de la médecine du travail pour lutter contre toutes les formes de pénibilité, le burn out et tant d’autres, une nouvelle politique familiale. Mais je pense aussi à une nouvelle ambition de sécurité sociale qui touche à la sécurisation de tous les moments de la vie pour une nouvelle civilisation. Une allocation d’autonomie formation pour les jeunes, qui permettrait aux jeunes d’investir avec confiance l’avenir – à l’inverse de ce qu’ils sont en train de faire avec Parcoursup –, une sécurisation de l’emploi et de la formation, pour éradiquer le chômage et la précarité qui ne cessent de progresser, un service public de l’autonomie des personnes âgées – on va avoir deux millions de personnes dépendantes en 2050 quand on en a 1,2 million aujourd’hui, cette question ne sera pas résolue dans l’égalité par le privé. Eh bien, créons un mouvement à partir du mouvement des EHPAD pour une telle ambition de société. Montrons que le Parti communiste est une force qui relève les défis du xxie siècle, et que la force réactionnaire qui est très loin de ces enjeux, c’est En marche, ces « simples digéreurs » qu’André combat à l’Assemblée.

Un cap politique pour le Parti communiste

Je veux finir par dire un mot sur le Parti communiste. Je crois que nous devons renouer avec le temps long de l’action politique, c’est-à-dire sortir de ce « présentisme », de la seule réaction à l’actualité et du rythme infernal de la vie électorale. Renouer avec le temps long de la vie politique qui est à mon avis indispensable à la construction d’un horizon émancipateur. Parce que toute bataille idéologique – on parlait à l’instant de conscience de classe – est une bataille de longue durée, qui demande de la constance dans l’action politique. Renouer avec le temps long parce que l’intervention populaire, l’intervention de travailleurs dans les entreprises, de catégories populaires qui se sont éloignées durablement des urnes, ça demande du temps, de renouer de la confiance dans une action collective qui est aujourd’hui minée dans une société du « chacun pour soi ». Renouer avec le temps long de l’action politique, parce que nous sommes confrontés à des défis de civilisation qui ne se résoudront pas à l’échelle du quinquennat, on en a eu la démonstration avec la question écologique. Nous parlons de défis sur des décennies. C’était ma première remarque.

Si on a besoin d’être à l’offensive, mon sentiment est que trop souvent, ces dernières années, nous avons été sur la défensive. Nous avons été intimidés nous-mêmes par la violence de classe. Nous avons été étouffés par le rythme de l’action politique. Et trop souvent nous avons laissé d’autres parler à notre place. Mais le problème dans ce cas c’est que jamais les grandes transformations révolutionnaires que nous portons ne peuvent rencontrer l’aspiration au changement des Français. Donc on a besoin de reprendre l’offensive sur un projet communiste et sur une force communiste. Si on veut que cela change, il faut maintenant que les forces immenses de notre collectif militant retrouvent confiance. Nous devons reprendre notre place dans la société française pour que l’espoir reprenne sa place dans la société française. Si le PCF reprend sa place, alors, avec les syndicats dans une action complémentaire, on pourra relancer de grands mouvements dans le pays.

Enfin, il faut se fixer un cap politique. On ne peut pas fonctionner avec des échéances à six mois ou à un an. On a besoin d’un cap politique, pas pour l’année à venir mais pour les dix ou quinze prochaines années. Un cap politique qui réhabilite les enjeux de classe, qui réidentifie le Parti communiste dans la société française à une ambition crédible et radicale de changement, à des enjeux comme la production, le travail, l’écologie, le féminisme, qui développe notre action internationaliste ; un cap politique qui ne décrète pas le rassemblement, qui ne lance pas des appels au rassemblement de manière générale mais qui le construit dans les luttes, avec les travailleurs et les catégories populaires. Je sais que si nous sommes à la hauteur de ces enjeux nous pouvons le faire, relever les défis du xxie siècle, dans un mouvement d’émancipation humaine où les travailleurs retrouveront toute la dignité que ce système essaye de leur enlever. zzz

 

 

 

Projet de proposition de loi d’expérimentation « Entreprises de territoire et nouvelle régulation démocratique »

le 31 August 2018

Projet de proposition de loi d’expérimentation « Entreprises de territoire et nouvelle régulation démocratique »

Depuis l’élaboration du projet de proposition de loi d’expérimentation « Entreprises et territoires » à l’initiative du groupe de travail animé par Sylvie Mayer, animatrice du secteur « économie sociale et solidaire » du PCF, Hervé Defalvard, maître de conférences à l’université de Marne-la-Vallée et Denis Durand, codirecteur d’économie et politique1, une série de consultations a été menée, en particulier auprès de personnalités de l’ESS.

Une séance de travail au Sénat, en mai dernier, en présence de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a permis d’examiner le texte de façon approfondie et de lui apporter des améliorations. C’est cette version amendée que nous publions ci-dessous. Les échanges vont continuer dans les prochains mois à partir d’expériences concrètes (voir dans ce dossier les articles consacrés au groupe Verallia). Un atelier au Forum des élus communistes et républicains qui s’est tenu fin août à Angers a été consacré au projet et a été l’occasion d’engager la constitution d’un réseau d’élus et de militants intéressés par le projet et disponibles pour des expérimentations.

Préambule

Depuis vingt ans, la France perd 70 000 emplois industriels par an selon un rapport de la DG Trésor2. Si les raisons en sont multiples, deux nous paraissent essentielles : la domination de la mondialisation financière aux effets délétères sur l’entreprise et le travail (Favereau, 2016)3 et l’absence de politique industrielle autre que celle qui consiste à « baisser le coût du travail ». Si le mal est grand, il n’y a pas de fatalité en la matière comme le montrent des exemples de réindustrialisation sur les territoires comme ceux des Jeans 1083 dans l’Isère, des Jeannettes en Normandie ou des Fralib dans la région de Marseille. Dans ces exemples comme dans beaucoup d’autres, nous retrouvons des initiatives, de type bottom up, qui s’ancrent sur les territoires en y développant une logique de coopération entre acteurs autour d’intérêts communs. Certaines relèvent de l’économie sociale et solidaire d’autres non. La plupart par contre font coopérer des acteurs de divers statuts, privé ESS, privé hors ESS ou public, comme dans les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE). Notre projet de loi d’expérimentation s’inspire de ces initiatives pour offrir aux acteurs sur les territoires des ressources et de nouvelles régulations afin que ces initiatives ne restent pas des cas isolés mais nourrissent l’émergence d’un nouveau mode de développement ancré sur les territoires et non plus soumis aux impératifs des marchés financiers.

Notre projet de loi d’expérimentation s’inscrit dans le prolongement de la proposition de loi pour la sécurisation de l’emploi et de la formation déposée en janvier 2017 par le député André Chassaigne, qui comporte des dispositions reconnaissant des pouvoirs nouveaux aux salariés et aux acteurs des territoires.

Ce projet propose donc que les territoires deviennent un nouvel espace de la valorisation économique, sociale et environnementale des entreprises en se plaçant dans le cas précis et concret des entreprises abandonnées ou menacées. Les enjeux du nouvel agrément d’entreprises de territoire qu’il institue, ainsi que des régulations qui l’accompagnent sont multiples. Sans ordre de priorité, ils se situent au niveau des savoirs, des savoir-faire et des compétences dont il est urgent d’assurer la pérennité et la disponibilité sur les territoires ainsi que leur dynamisation par l’innovation. Cet enjeu est étroitement lié à ceux de la qualité des emplois, de leur sécurisation et de celle des parcours professionnels appuyée sur le développement de la formation tout au long de la vie. Un autre enjeu des nouvelles régulations des entreprises de territoire concerne leur financement avec une territorialisation des décisions par ses acteurs aussi bien privés que publics incluant les nouveaux acteurs du financement participatif. Il s’agit en particulier de mettre à la disposition des territoires des outils pour responsabiliser les banques dont on connaît la réticence à prendre en compte l’apport des PME et TPE au développement des territoires4. Ces enjeux se situent aussi et surtout dans la prise en compte de l’utilité sociale et environnementale des activités développées sur les territoires. Enfin, notre projet de loi d’expérimentation porte un enjeu de démocratie lié à la participation des parties prenantes du territoire à la régulation de son développement.

Notre proposition exprime une nouvelle vision de la valeur des activités développées par les entreprises, mesurée non plus par le profit généré pour les actionnaires mais par sa valeur ajoutée pour le territoire et ses parties prenantes. Elle exprime une autre vision de l’efficacité économique et sociale, rapportant cette valeur ajoutée à la mise de fonds en capitaux avancés.

Pour les entreprises abandonnées et menacées, il s’agit bien d’un nouveau paradigme qui concerne aussi bien leurs relations internes que les relations externes avec leur environnement. En effet, agréer une entreprise comme entreprise de territoire confère un nouveau droit aux instances représentatives du personnel (conseil social et économique dans le régime instauré par les ordonnances de 2017) qui est un droit d’usage de l’établissement et de ses actifs par les salariés. Celui-ci fait de l’établissement un commun de travail. Il ne renie pas le droit de propriété attaché à la détention des capitaux (parts sociales ou actions) mais en limite les prérogatives par l’obligation de laisser l’usage des actifs et de l’établissement aux salariés dès lors que le conseil social et économique souhaite se saisir de ce droit. L’entreprise de territoires devient une organisation polycentrique qui articule trois niveaux :

– Celui du conseil social et économique avec un droit d’usage des actifs et non plus seulement d’information et consultatif.

– Celui de la direction de l’entreprise (le conseil d’administration par exemple) occupée par les détenteurs des parts sociales ou actions ou leurs représentants.

– Et celui, enfin, de la commission territoriale pour la responsabilité sociale et environnementale instituée par la collectivité territoriale et composée des parties prenantes du territoire. Il ne s’agit pas d’ignorer la conflictualité inhérente aux relations entre les différents acteurs de l’entreprise et du territoire mais de construire un cadre dans lequel la logique portée par les salariés et la population du territoire peut être effectivement prise en compte. Si, dans ce nouveau paradigme, le territoire devient l’espace social dans lequel se construit la valeur sociale, environnementale et économique des entreprises, cet espace n’est pas autarcique mais relié à d’autres échelles extra-locales jusqu’à celle de la planète tout entière, ne serait-ce que parce que la valeur écologique a comme référentiel la planète.

Hervé Defalvard,
Chaire ESS-UPEM

Denis Durand,
Economie et Politique

Sylvie Mayer,
Commission ESS du Pcf

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À titre expérimental, pour une durée de cinq ans, les collectivités territoriales éligibles et volontaires peuvent accorder à des entreprises abandonnées ou menacées l’agrément d’entreprise de territoire. Elles mettent en place à cet effet une commission pour la responsabilité sociale territoriale et un Fonds territorial pour l’emploi et la formation.

Article 1. Entreprise de territoire

Toute collectivité territoriale a le pouvoir d’accorder l’agrément d’entreprise de territoire à des entreprises ou établissements abandonnés ou menacés et de les accompagner dans la mise en place d’une solution leur permettant de poursuivre leur activité dans des conditions garantissant la durabilité des ressources matérielles et immatérielles et l’accès à ces ressources sur le territoire. L’assemblée délibérante de la collectivité prend la décision d’accorder l’agrément d’entreprise de territoire sur la base d’une étude réalisée par une commission pour la responsabilité territoriale qui peut être saisie préalablement par l’entreprise elle-même ou par les représentants des parties prenantes de son activité sur le territoire.

L’agrément d’entreprise de territoire est accordé pour une durée maximale de trois ans au terme de laquelle l’entreprise sera soit dissoute soit continuée dans le respect des critères de l’agrément.

L’agrément d’entreprise de territoire a pour condition l’adoption, par l’entreprise, d’objectifs répondant aux nécessités du développement du territoire et des capacités de ses habitants, et d’une gestion donnant la priorité à des critères économiques (création de valeur ajoutée sur le territoire), sociaux (emploi, formation) et écologiques (préservation des ressources naturelles). Cette gestion s’appuie sur des financements faisant appel à la responsabilité sociale du système bancaire et à la mobilisation des acteurs locaux.

Article 2. Entreprises abandonnées ou menacées

Toute entreprise abandonnée ou menacée portant un projet d’activité et d’emploi sur le territoire pourra, dans le cadre de la loi d’expérimentation, se voir accorder l’agrément d’entreprise de territoire.

Une entreprise est considérée comme abandonnée lorsqu’elle est dépourvue de personnalité ou d’organe dirigeant susceptible de mener à bien un projet de développement de son activité sur le territoire.

Une entreprise est menacée lorsqu’un fait ou une situation (absence de succession du dirigeant d’une entreprise individuelle, perte de marché, perte de compétences résultant de suppressions d’emplois, absence d’investissement, choix d’investissement erronés, ou tout autre événement) porte atteinte à sa capacité à créer de la valeur ajoutée et à contribuer au développement du territoire où elle est implantée.

Un décret précisera le cahier des charges et les critères d’éligibilité à l’agrément d’entreprise de territoire qui seront de deux ordres : statutaire en ce sens qu’il faudra que le collectif porteur du projet de développement de l’entreprise soit institué avec de nouveaux droits, et territorial en ce sens que le projet d’activité doit valoriser des ressources du territoire (savoir-faire, emploi, environnement, épargne…) en prenant soin de leur durabilité dans le sens d’un intérêt général du territoire.

Article 3. Commission pour la responsabilité sociale territoriale

Dans le cadre de la loi d’expérimentation, toute collectivité territoriale peut décider la création d’une commission pour la responsabilité sociale territoriale. Les attributions de cette commission consistent :

– à instruire les demandes de reconnaissance de l’agrément d’entreprise territoriale qui lui sont présentées ;

– à exercer une médiation dans le cas où elle est saisie par les représentants des salariés d’une entreprise menacée (comité d’entreprise, comité d’établissement ou délégués du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés) porteurs d’un projet alternatif à la stratégie de la direction ;

– à saisir, le cas échéant, l’administration et la Banque de France en vue de donner aux entreprises de territoires les moyens juridiques et financiers de réaliser leurs projets ;

– à assurer pendant trois ans l’accompagnement des entreprises de territoire ayant obtenu cet agrément et réunir les conditions de leur insertion dans l’écosystème territorial ;

– à valider l’expérimentation ou à la clore.

Article 4. Composition de la commission sociale territoriale

La commission pour la responsabilité sociale territoriale est composée comme suit :

– des membres de l’assemblée délibérante élue du territoire, dont le président de la commission ;

– des représentants des organisations syndicales de salariés ;

– des représentants des organisations patronales ;

– des représentants salariés des organismes publics de la formation professionnelle avec voix consultative ;

– des représentants des organismes de recherche ;

– des représentants de la DREAL avec voix consultative ;

– des représentants de l’Éducation nationale, de Pôle emploi et de la direction régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi avec voix consultative.

Article 5. Saisine de la commission pour la responsabilité sociale territoriale

La commission pour la responsabilité sociale territoriale peut être saisie par un ou plusieurs élus du territoire, par un chef d’entreprise ou par les représentants des salariés de l’entreprise lorsque l’une ou l’autre de ces parties prenantes considère que l’entreprise est abandonnée ou menacée, ou par un collectif représentatif des acteurs du territoire et reconnu comme tel par la collectivité territoriale.

À l’issue de l’examen de la demande, la commission peut recommander à la collectivité qui l’a constituée de conférer à l’entreprise l’agrément d’entreprise territoriale. La décision est prise par l’assemblée délibérante élue du territoire.

Article 6. Dispositif d’alerte

Dans le cas d’entreprise menacée, un dispositif d’alerte permet à tout ou partie des salariés de l’entreprise et/ou de leurs représentants de saisir la commission pour la responsabilité sociale territoriale en vue d’une information publique sur les éléments matériels et immatériels de la menace pesant sur la pérennité des ressources mobilisées par l’entreprise.

La commission pour la responsabilité sociale territoriale organise une réunion contradictoire entre les parties à la suite de laquelle elle rend une délibération publique motivant les mesures qu’elle propose afin de garantir la pérennité des ressources, pouvant aller jusqu’au déclenchement de la procédure d’agrément d’entreprise de territoire.

Article 7. Médiation

Lorsque la demande d’agrément comme entreprise de territoire émane de représentants des salariés de l’entreprise, les propositions des salariés sont transmises à la commission pour la responsabilité sociale territoriale. La commission entend l’employeur qui doit donner un avis motivé sur les propositions des salariés. Elle prend alors toutes dispositions utiles afin de contribuer à la construction d’une solution viable.

Article 8. Les dispositions auxquelles il pourra être dérogé

Dans le cas d’une entreprise abandonnée, les dispositifs de liquidation de l’établissement ou de l’entreprise seront suspendus pendant une durée de trois ans neutralisant pendant ce délai toute décision du tribunal de commerce.

Dans le cas d’une entreprise menacée, les dispositifs limitant les pouvoirs du comité d’entreprise à un ordre consultatif seront révisés par un nouvel accord d’entreprise.

Article 9. De nouvelles régulations pour l’entreprise

Pour l’entreprise abandonnée, un nouveau conseil d’entreprise sera créé, quel que soit le nombre de salariés, avec un droit d’usage sur les actifs relevant du territoire (terrain, bâtiment, machines, marques…). Ce droit d’usage transforme ces actifs en commun du territoire. Une continuité est assurée des rémunérations et des règles encadrant la négociation avec la commission pour la responsabilité territoriale afin de valider ou non, dans un délai de trois ans, les nouvelles orientations de l’entreprise de territoire. À l’issue de ce délai, l’entreprise est soit reprise par un repreneur (avec maintien des prérogatives de l’instance de représentation des salariés), soit transformée en Scop ou Scic par exemple.

Article 10. Sécurisation des salariés en cas de fermeture de l’entreprise

Si, dans les trois ans, les efforts des acteurs et des élus du territoire, appuyés sur la commission pour la responsabilité sociale territoriale et son fonds territorial pour l’emploi et la formation, n’aboutissent pas à une solution permettant la poursuite et le développement de l’activité de l’entreprise, les salariés dont l’emploi est supprimé bénéficient d’une protection (reclassement, accès à des formations rémunérées) dont le financement est assuré par des ressources mutualisées aux niveaux local, régional et national.

Article 11. Le dispositif d’accompagnement local

Après l’attribution à une entreprise menacée ou abandonnée de son agrément d’entreprise de territoire, la commission de responsabilité sociale territoriale met en place un comité de suivi pour cette entreprise afin de l’accompagner dans la construction et la réalisation de son projet. L’objet du comité de suivi est de réunir les partenaires du territoire (en termes de formation et recherche, en termes de filières…) dont le concours est décisif pour inscrire de manière durable et pérenne l’entreprise de territoire dans son écosystème territorial.

Au cours de cette période de trois ans, l’entreprise de territoire bénéficie d’un soutien juridique et technique de la commission pour la responsabilité territoriale. Elle peut bénéficier d’un soutien financier de la collectivité territoriale, qui fait l’objet des articles 12 et 13 de la présente loi.

Article 12. Fonds territorial pour l’emploi et la formation

Une entreprise de territoire bénéficie du soutien de la collectivité territoriale où elle est implantée pour financer les investissements matériels et immatériels et autres nécessaires à la réalisation de son projet de développement. Les dépenses de fonctionnement, en particulier les salaires versés pendant la période de trois ans qui suit la reconnaissance du statut d’entreprise de territoire, font partie des investissements pris en compte dans le plan de financement de l’entreprise.

Les moyens consacrés par la collectivité territoriale au soutien financier du projet de l’entreprise sont réunis dans un fonds territorial pour l’emploi et la formation mis en place par la collectivité territoriale. Le fonds est géré par la commission pour la responsabilité sociale territoriale.

Le fonds territorial est doté de ressources apportées par le budget de la collectivité territoriale. Ces ressources peuvent être abondées par l’État ou la région et l’Union européenne.

Les interventions du fonds peuvent prendre la forme de subventions ou de dotations en fonds propres. Cependant, l’ampleur limitée des ressources budgétaires dont disposent les collectivités territoriales conduit à privilégier les instruments destinés à favoriser le financement des investissements des entreprises par des crédits bancaires : bonifications d’intérêts, garanties d’emprunts, ou une combinaison de ces deux instruments. Pour le même objet, le fonds noue des partenariats avec BPI-France, avec la CDC, avec les réseaux bancaires mutualistes implantés sur le territoire, avec la Banque postale, et, si elles acceptent les critères de gestion et de financement adoptés par l’entreprise de territoire, avec les autres banques commerciales implantées sur le territoire.

La commission pour la responsabilité sociale territoriale favorise également la mobilisation de l’épargne locale, notamment sous la forme de financements participatifs.

Article 13. Responsabilité sociale et territoriale des établissements de crédit

Lorsque le développement d’une entreprise de territoire nécessite des investissements financés par voie d’emprunt, la commission pour la responsabilité sociale territoriale peut demander au directeur départemental de la Banque de France d’organiser une rencontre entre la direction de l’entreprise, le comité d’entreprise, les membres de la profession bancaire, le directeur régional de BPI-France, et le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, le président de la commission pour la responsabilité sociale et un élu territorial en vue d’examiner la participation des établissements de crédit au financement de ces investissements. À l’issue de la procédure de médiation, la collectivité territoriale peut demander au directeur départemental de la Banque de France de désigner un ou plusieurs établissements de crédit chargés de mettre en place les crédits nécessaires.

Ces crédits bancaires sont éligibles au refinancement de l’Eurosystème dans le cadre des procédures définies par le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne.

Article 14. Commission d’évaluation, contrôle et sanctions

La collectivité territoriale met en place une commission indépendante d’évaluation et de contrôle. La commission présente deux fois par an en séance publique devant la commission pour la responsabilité sociale territoriale un rapport sur la situation de chaque entreprise de territoire, sur sa contribution au développement du territoire et sur son respect des conditions et critères attachés à son statut d’entreprise territoriale. Cette présentation de l’entreprise de territoire s’appuie sur une nouvelle comptabilité de gestion qui prenne en compte le développement des ressources humaines et écologiques. L’évaluation porte également sur la pertinence et les modalités d’élaboration et de calcul des nouveaux critères mis en place.

Si ces conditions ne sont pas remplies, la commission d’évaluation et de contrôle peut proposer le retrait de l’agrément d’entreprise de territoire. La sanction est décidée par l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale. La commission prévoit une gradation des sanctions : les bonifications d’intérêts peuvent être réduites ou supprimées.

La commission d’évaluation peut être saisie par les représentants des salariés, via leur conseil social et économique ou, à défaut, les délégués du personnel, ou par la collectivité territoriale elle-même.

Les collectivités engagées

Les collectivités engagées sont celles qui ont des compétences économiques comme les Régions, les intercommunalités et les communes étant donné le statut dérogatoire de la loi d’expérimentation. Sur les cinq premières années de l’expérimentation, vingt collectivités territoriales volontaires pourront être désignées pour mettre en place cette expérimentation. 

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1. Voir « Sécurité d’emploi et de formation : la construire dans les territoires », économie et politique, n° 764-765, mars-avril 2018.

2. Demmou L. 2010, « La désindustrialisation en France », Document de travail de la DG Trésor, n° 01, juin.

3. L’impact de la mondialisation financière sur les entreprises et plus particulièrement sur les relations de travail avril 2016, rapport BIT.

4. Voir en particulier Les PME/TPE et le financement de leur développement pour l’emploi et l’efficacité, avis du Conseil économique, social et environnemental présenté par Frédéric Boccara et adopté le 15 mars 2017, <http://www.lecese.fr.

sites/efault/vis/2017/2017_07_PME_TPE.pdf>.

 

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Rappel sur la loi d’expérimentation

L’expérimentation législative locale est l’autorisation donnée par une loi à une collectivité territoriale d’appliquer une politique publique ne faisant pas partie de ses attributions légales, pour une période donnée.

Elle a été introduite dans la Constitution par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 avec deux dispositions nouvelles (art. 37-1 et 72 al. 4).

La loi organique du 1er août 2003 calque le cadre de l’expérimentation ouverte aux collectivités territoriales dans le domaine réglementaire sur celui de l’expérimentation dans le domaine législatif (art. LO1113-1 à LO1113-7 CGCT).

L’expérimentation est ainsi une faculté laissée aux collectivités territoriales, mais très encadrée par le législateur. La loi autorisant une expérimentation doit en effet préciser :

– l’objet de l’expérimentation ;

– sa durée (cinq années maximum) ;

– les caractéristiques des collectivités susceptibles d’expérimenter ;

– les dispositions auxquelles il pourra être dérogé.

Ensuite, les collectivités manifestent leur intention par l’adoption d’une délibération motivée. Puis le gouvernement fixe, par décret, la liste des collectivités admises pour l’expérimentation.

Avant la fin prévue de l’expérimentation, le gouvernement transmet un rapport, notamment d’évaluation, au Parlement qui détermine alors si l’expérimentation est soit prolongée, ou modifiée, pour trois ans maximum, soit maintenue et généralisée, soit abandonnée.

L’expérimentation est encore assez peu utilisée. La loi du 13 août 2004 avait autorisé, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, l’expérimentation en matière de gestion des fonds structurels européens, de lutte contre l’habitat insalubre, etc.

 

 

 

Europe : monnaie, finance, démocratie

Par Salais Robert, Scialom Laurence, Clerwall Ulf, Boccara Frédéric, le 31 August 2018

Europe : monnaie, finance, démocratie

Le 8 octobre dernier, l’association Renaissance des Lumières organisait un séminaire militant sur le thème « Europe : monnaie, finance, démocratie ». Nous publions le texte par lequel les organisateurs, Xavier-Francaire Renou et Hadi Rizk, définissaient l’objet de cette rencontre, et les interventions des quatre orateurs invités. L’enregistrement vidéo de ces interventions est accessible sur le site Web de l’association : <https://www.renaissancedeslumieres.fr/>.

L’objet de la rencontre

L’intrication du capitalisme industriel et du capitalisme financier n’est pas nouvelle ; elle était déjà effective à la veille de la Première guerre mondiale ; mais dans le couple de l’industriel et du financier c’est aujourd’hui le deuxième élément qui est devenu dominant, en même temps que se constituait un véritable monde de l’industrie financière, avec ses produits dérivés, ses concentrations en monopoles et cartels, ses zones de contact ou d’interpénétration entre finances visibles et finances invisibles (shadow banking), entre investissements et spéculation, ou, plus crûment, entre argent sale et argent « propre ». Et chacun a sous les yeux les effets de cette logique financière dominante : depuis le creusement des inégalités sociales et la précarisation généralisée du travail jusqu’aux désastres écologiques en passant par les délocalisations et les déstructurations ou franches destructions industrielles.

Face à l’inhumanité de ce monde déréglé, rien ne sert de seulement proclamer la supériorité de l’humain. Il faut d’abord comprendre et faire comprendre que les choses de la finance ne sont pas si complexes que voudraient le faire croire ceux qui ont intérêt à l’opacité. La finance est toujours possibilité d’investissement, c’est-à-dire d’anticipation sur une production à venir. La finance n’est pas stock de monnaie mais flux de monnaie. La question est donc de savoir où va ce flux ou, dit en métaphore agricole, ce qu’il irrigue.

On peut alors comprendre que LA finance, qui serait dotée de toutes les vertus ou de tous les vices, n’existe pas. Il y a seulement un bon et un mauvais usage de la puissance financière et de ses liens avec la puissance économique et la puissance monétaire. On peut donc dire, choix politique raisonné, à la fois simple et crucial, que la bonne finance est celle qui, d’une part irrigue la vie sociale au bénéfice de tous et non de certains seulement et qui, d’autre part, relève de la libre décision de tous et non de certains seulement. Or, précisément, les flux financiers du capitalisme financiarisé actuel ont comme caractère principal qu’ils vont à contre-courant de cette orientation. Les choses sont assez complexes mais, là encore, moins mystérieuses que les puissants de ce monde ne veulent bien le dire.

Quatre déterminants dans la domination de la finance

Au moins quatre éléments entrelacés sont déterminants. Le premier, plus actuel que jamais, vient pourtant de loin : il s’agit de la domination de l’ensemble des transactions mondiales par le dollar que les états-Unis ont réussi (en 1944 à Bretton-Woods) à imposer comme monnaie quasi unique de référence. Aujourd’hui, ni le yuan chinois ni l’euro ne parviennent à concurrencer efficacement ce quasi-monopole. Si donc les états-Unis ne sont plus les seuls maîtres du monde, devenu, comme on dit, multipolaire, après la bipolarité de la guerre froide, leur position dominante est loin d’avoir disparu.

Le deuxième élément, visible par chacun jusque dans la vie quotidienne, est constitué par les multinationales financiaro-industrielles engagées dans la course à la concentration inhérente au capitalisme, avec les deux faces de cette concentration : recherche de monopole et/ou entente de cartel. Souvent plus puissantes, même une à une, que la plupart des nations dont elles ébranlent la souveraineté, elles entretiennent avec les États des rapports variables, qui vont de la quasi-concertation ou alliance stratégique au pur et simple asservissement, dont la figure principale est le dumping social et fiscal : « venez, investisseurs, dit tel État ; pour vous je baisse les charges sociales et fiscales ». Risque d’oscillation, donc, pour les États, entre la fonction de complices et celle de valets des multinationales.

Le troisième élément est que, désormais dirigé par la recherche prioritaire des profits financiers, le productivisme inhérent au capitalisme industriel est devenu comme fou. Déjà, par essence, le capitalisme industriel, soumettant la production de biens utiles à la recherche du profit maximal (en taux et en masse) visait à produire toujours davantage des biens (de consommation ou de production) posés comme utiles, quel que soit le prix social et environnemental de cette production, et sans que jamais soient d’abord examinés et débattus ni les besoins ou désirs de consommation et les choix dont ils peuvent être l’objet, ni les possibilités productives et les choix qu’elles comportent elles aussi : marche forcée comme canalisée par les œillères de la recherche du profit. Encore cette course unilatérale au profit restait-elle limitée ou pondérée par la double contrainte de devoir au moins s’entrelacer avec la production de biens réels, matériels, et donc se soumettre à la discipline des processus techniques et industriels de production. Mais le capitalisme financiarisé, en autonomisant l’industrie financière de l’industrie tout court, sur laquelle elle a pourtant acquis la position dominante, devient cette fois carrément aveugle sur les conditions, les finalités et les effets de la fuite en avant productiviste. Il peut ainsi aussi bien accroître sans limites la pression sur les forces humaines productrices de richesse, pousser jusqu’à l’épuisement suicidaire l’exploitation des ressources naturelles, déchirer le tissu de zones ou secteurs industriels, organiser l’obsolescence programmée des machines et appareils. Les fonds spéculatifs et les fonds de pension sont deux formes de cette accumulation financière coupée de la sphère de la production à laquelle elle impose sa loi.

Le quatrième élément est que la polarisation des flux du capital (le capital va au capital) a comme effet l’ébranlement, voire la disparition des solidarités que même le capitalisme industriel conservait encore. Avant d’être une « valeur », la solidarité est interdépendance, imposée par la nécessité du besoin, puis coopération dans le partage déjà volontaire des tâches ou division du travail, ou dans la coexistence tendue mais consentie de compromis de classes, puis sentiment d’appartenance à une communauté, puis enfin volonté de vie commune dont la citoyenneté est la forme la plus aboutie. Il y a ainsi des solidarités sociales (de métier, de classe) mais aussi des solidarités territoriales (locales, régionales, nationales, internationales ou continentales…), où se mêlent coopération, coexistence, sentiment d’appartenance commune et volonté de vie commune. Or la mobilité essentielle à la finance capitaliste ébranle ou sape peu à peu ces solidarités au bénéfice de polarisations sociales (jusqu’aux ghettoïsations opposées, volontaire pour les plus riches imposée pour les plus pauvres) ou de polarisations géographiques (dans une nation : d’un côté des métropoles au développement accéléré, de l’autre des territoires délaissés ; en Europe : d’un côté des nations riches toujours plus capables d’investir, de l’autre des nations pauvres toujours plus endettées).

Quelle Europe pour orienter autrement la finance ?

Si, donc, la finance est, dans toute société développée, la clef de son fonctionnement et de son développement ; si, aujourd’hui, les flux financiers sont régis ou captés par quelques-uns dans une double violence sociale et environnementale, il est inhérent à la volonté démocratique d’entrer dans le détail des flux financiers pour les orienter, les canaliser autrement. Et il faut pour cela examiner les choix possibles (et l’engagement dans les rapports de force si nécessaire) à tous les niveaux (local, national, européen, mondial). Dans cette échelle du local au mondial, il n’y a pas plus de raison de choisir entre le niveau national et le niveau européen que dans une nation il n’y a de raisons de choisir entre le municipal, le départemental, le régional et le national. Il y a en revanche à comprendre que dans cette hiérarchie de niveaux, un niveau déterminé nest jamais à comprendre comme le subsidiaire (ou le remplaçant, par défaut ou par violence) de celui qui le précède ou le suit, mais comme sa condition. Sans local nul national ne vaut, mais la réciproque est vraie aussi : c’est dans la République (nationale) que se déploie l’autonomie municipale. De la même manière, sans national nul international ou européen ne vaut, mais la réciproque est vraie aussi : c’est dans l’Union européenne que peut se déployer ou se retrouver l’autonomie des nations ; parce que seule leur coopération, leur puissance commune, peut les protéger à la fois contre la domination du dollar, contre la violence sociale et environnementale et contre le déchirement des tissus de solidarité sous l’effet des multinationales.

Qui oublie ces conditions concrètes (financières, monétaires, économiques) de la liberté des individus et des peuples, risque de se perdre dans des débats seulement politiques ou institutionnels truffés d’équivoque. Proposer « davantage d’Europe » sans mettre en cause le capitalisme financiarisé, c’est s’adapter à celui-ci, selon les propres termes d’Emmanuel Macron, en rêvant de pouvoir ainsi s’inscrire dans le camp des gagnants de la mondialisation. Proposer au contraire « moins dEurope » cest se perdre dans lillusion du village gaulois résistant par ses seules épées de bois aux forces de l’empire. Dans les deux cas, on croit qu’en singeant soit le mouvement dominateur, soit l’isolationnisme américain (qui ne sont que deux faces de la même chose), on retrouvera le chemin de l’autonomie et de la croissance, oubliant que cette imitation imaginaire produit l’inverse de ce qu’elle vise. Ce n’est pas un hasard si les états-Unis se réjouissent des divisions européennes : l’essentiel, pour eux comme pour toutes les multinationales qui, dans leur sillage ou dans celui d’empires naissants, se partagent le monde est que, dumpings social et fiscal aidant, les affaires puissent avoir lieu aux meilleures conditions. Venu du plus faible, le mimétisme, qu’il prenne la forme de l’agitation des « premiers de cordée » ou de l’isolationnisme nationaliste, ne fait jamais que jouer le jeu du plus fort, de celui qui peut user alternativement ou simultanément de l’expansionnisme de type impérial ou de l’isolationnisme. Pour contrer ces errances, c’est un devoir de scruter et renforcer les voies de flux financiers qui puissent surmonter un productivisme unilatéral ou franchement aveugle et sauvegarder et accroître les solidarités au lieu de les détruire. Dans cette enquête le niveau européen joue certainement un rôle déterminant. Lequel ?

 

Xavier-Francaire Renou et Hadi Rizk

Robert Salais1: La possibilité d’une Europe

Tout se passe comme si, prétendant travailler à réaliser l’idée d’Europe, le processus européen mettait paradoxalement en place depuis les années 1980 les conditions qui rendent cette réalisation impossible. La planification du marché parfait a peu à peu pris une forme extrême, sous l’apparence d’un enjeu technique et apolitique, dissimulant une action de part en part politique : faire de la concurrence « libre » (c’est-à-dire sans entraves d’ordre politique ou social) de tous contre tous le principe structurant, et même constitutif, de la construction européenne dans toutes ses activités.

Le projet politique européen est proche d’un éclatement. On peut douter qu’il se relève de la « crise des migrants », tant l’Europe en ce domaine bafoue ouvertement les droits humains dont elle se gargarise par ailleurs. Pourtant que d’ambitions louables au Congrès des mouvements européens en 1948 et que d’appuis possibles sur les idées discutées, même si non reprises dans les textes finaux, dans les Conférences de l’après-guerre : comme Bretton-Woods (1944) où Keynes défend l’obligation de solidarité économique entre pays comme fondement de l’ordre marchand mondial reprise par la Charte de La Havane (1948) (non ratifiée par le Sénat américain). La logique de la Charte demeure celle d’une libération des échanges. Celle-ci s’appuie sur l’identité économique et sociale des pays et l’intervention de l’État pour leur développement dans un contexte d’internationalisation. Elle a peu à voir avec la libéralisation des marchés, qui est le choix européen.

L’idée d’une Europe démocratique a échoué quatre fois, en 1948, en 1954, en 1984 (Delors mit au panier le Rapport Spinelli) et en 2004 (le projet de la Convention de 2004 étant coulé par l’obsession néolibérale). Néanmoins tous ces débats font partie du patrimoine historique et politique de l’Europe. Pourquoi ne pas y revenir pour rouvrir la question européenne ? Pour reconnaître l’importance du niveau national comme lieu d’enracinement des identités, des politiques publiques, des protections contre les aléas de la vie, des attentes sur le futur (dont la négation contribue à la montée des nationalismes). Et pour qu’enfin, s’il n’est pas trop tard, chacun devienne un participant de la création de l’Europe, qu’il sache en quoi consistent son appartenance, sa participation, ses devoirs et ses droits. Une démocratisation profonde aux divers niveaux est nécessaire. Il faut pouvoir lier démocratiquement l’adhésion des peuples à l’Europe et l’adhérence de l’Europe à leurs conventions nationales.

Laurence Scialom2 : Finance et société, desserrer l’emprise

Étrangement, dix ans après une crise financière systémique mondiale dont les coûts économiques et sociaux ont été considérables, le regard de nos dirigeants sur la finance n’a pas fondamentalement changé. Pourtant, les travaux de recherche sont convergents : l’hypertrophie de la finance nuit à la croissance et nourrit les inégalités, son court-termisme est incompatible avec les impératifs de financement de la transition écologique, et les scandales financiers à répétition illustrent l’abaissement des normes éthiques dans ce secteur. Comment expliquer cette inertie des représentations ? Comment le secteur de la finance parvient-il à imposer une vision totalement fantasmée de son apport à la société ? Les canaux de cette emprise sont multiples. Les décrypter et les combattre est un enjeu démocratique majeur. L’un des canaux les plus visibles de cette influence de la finance tient aux opportunités de carrière que l’industrie financière offre aux régulateurs et/ou hauts fonctionnaires susceptibles d’influencer la règlementation financière. C’est ce que l’on appelle les « portes tournantes ». Elles tournent d’autant plus que les rémunérations dans le secteur de la finance sont beaucoup plus élevées que dans le secteur public. Ce qu’achète une banque en embauchant un haut fonctionnaire c’est une expérience des rouages de la haute administration, de l’écriture de la loi et des règles administratives, c’est l’entregent, le carnet d’adresses, la capacité à court-circuiter les strates hiérarchiques et à établir un contact direct avec les décideurs publics. Au-delà des portes tournantes, les pressions des lobbys sont permanentes et massives à tous les niveaux des procédures législatives et de règlementation. Ils représentent ainsi l’énorme majorité des membres de tous les comités consultatifs en charge de donner des avis sur des questions de régulation de la finance.

Alléger l’emprise passe par la lutte contre les portes tournantes : aller simple ou retour dans des secteurs de la haute administration sans aucun lien avec la finance. Alléger l’emprise implique aussi de mettre au grand jour des pratiques pernicieuses qui se nourrissent de l’ombre. Il faut ainsi rendre publics les amendements rédigés « clefs en main » par l’industrie, faire un décompte par parlementaire de ces amendements, rendre public le contenu des plaidoyers reçus par les parlementaires et faire publicité des arguments faux ou biaisés, favoriser financièrement le contre-lobbying technique c’est-à-dire les ONG qui le produisent, rendre public le décompte de toutes les rencontres avec des lobbyistes, le lieu, la durée, etc. Un contrôle démocratique de la finance implique fondamentalement de rééquilibrer les forces en présence dans l’élaboration de la décision publique concernant la finance, d’instaurer une traçabilité de comment les décisions publiques se prennent et de donner toute leur place aux autres partie prenantes : ONG, épargnants, contribuables, etc. Enfin, le ressentiment populaire contre les « élites » financières se nourrit du « deux poids deux mesures » en matière de sanction des comportements délictueux et d’un sentiment d’impunité des délinquants en col blanc. Une inflexion vers des sanctions personnelles plus fortes de ceux qui prennent intentionnellement des décisions financières délictueuses doit donc faire partie de l’arsenal de lutte contre les forces centrifuges qui minent nos démocraties. L’impunité ressentie de la délinquance financière en est un carburant.

Ulf Clerwall3: La nécessité d’ouvrir pour une diversité institutionnelle au sein du secteur financier

Depuis la crise financière de 2008, le secteur financier, et notamment les banques, a été soumis à une vague de nouvelles réglementations prudentielles. L’objectif ostentatoire de ces réglementations est de prévenir une nouvelle occurrence de ce type de collapse de 2008, et de couper le « doom loop », ou « boucle infernale » par laquelle la défaillance de banques peut entraîner la faillite des États qui les abritent, et inversement. Le moyen principal pour y arriver, et donc d’assurer la stabilité financière, est de s’assurer que les banques sont correctement capitalisées et que la prise de risque n’est pas excessive. Pour compléter ce dispositif, et accroître la transparence du secteur, l’évolution réglementaire est accompagnée par des campagnes récurrentes de stress tests, des analyses de la qualité des actifs, des modalités de refinancement et de liquidité, et par la création de nouveaux instruments de supervision comme le reporting consolidé de la production des crédits à soumettre à la BCE. Aujourd’hui, via l’activité de supervision prudentielle, le régulateur connaît mieux que jamais des activités et bilans bancaires, pourvu qu’il dispose des capacités d’évaluer la masse des données collectée.

D’un point de vue sociétal, il n’y a bien évidemment aucun intérêt d’avoir au centre du fonctionnement de l’économie des banques mal capitalisées et avec des prises de risque excessives. Par contre, la question clef est celle-ci : qu’est-ce qu’on entend par une banque « bien capitalisée » et quelle est la prise de risque « excessive » ? Le problème est que les deux phénomènes sont évalués selon des méthodes et normes définis par l’industrie elle-même. La réglementation prudentielle dite « bâloise » (car produite par le BCBS, le Basel Committee for Banking Supervision, une sous-division de la Banque des règlements internationaux) est essentiellement élaborée par un conseil de banquiers centraux, environnés par un lobby industriel qui ne manque pas de ressources pour influencer le résultat. Les normes produites par le BCBS sont transposées en législation européenne et nationale, en principe sans modifier le texte. Depuis 1996, quand le règlement dit « Bâle II » a ouvert la possibilité pour les banques d’évaluer leurs risques avec des modèles internes, la communauté politique autour de la supervision prudentielle est devenue très fermée aux « outsiders». Par contre, son impact réel n’a cessé d’augmenter. Autrement dit, « suffisamment capitalisé » s’évalue aujourd’hui dans un cadre analytique et une méthodologie significativement influencée par la communauté bancaire elle-même – un bel exemple de capture réglementaire.

Il faut aujourd’hui ouvrir le processus de réglementation et supervision bancaire à une délibération inclusive et démocratiquement responsable. L’objectif doit être de refondre la réglementation prudentielle sur des critères élargis, notamment par rapport au financement de l’économie. L’urgence est de faire émerger une pluralité des formes d’intermédiation financière – une nouvelle écologie financière à géométrie sociale et géographie variable – notamment capable de répondre à la prise des risques liés au financement de la transition écologique. Aujourd’hui la réglementation va dans le sens inverse : elle force (ou leur permet si on veut) les banques à converger sur le même modèle économique et, au passage, de se débarrasser des risques.

Certes, il n’est pas dans l’intérêt de la société d’avoir des banques mal capitalisées. Mais il n’est pas non plus dans l’intérêt de la société d’avoir un monolithe rentier – paradoxalement créé par une réglementation prudentielle – planté au milieu de notre fonctionnement économique. Le portage des risques liés à l’intermédiation financière est le premier métier bancaire. Avec les défis qui sont devant nous, on en a besoin. La stabilité financière se retrouvera dans la diversité institutionnelle et la responsabilité démocratique. Comme dans chaque écologie, la pluralité compte.

Frédéric Boccara4 : Agir tout de suite pour que la BCE appuie l’emploi et les services publics

Tout le monde voit bien que l’on va vers une catastrophe. Et pourtant rien n’est fait pour l’éviter. Au contraire les mesures prises en Europe aggravent la situation.

Il faut agir à la racine. Alimenter le corps sain, le développer, et ne plus alimenter les cellules cancéreuses de la spéculation et de l’accumulation mortifère contre les êtres humains et la planète.

Les milliards d’euros créés par la BCE à 0 % doivent aller au développement des services publics et à une nouvelle production porteuse d’emploi de qualité et d’écologie. La révolution informationnelle exige aussi cela pour son plein développement, ainsi que des partages informationnels et des coopérations face aux monopoles informationnels des GAFA. Appuyer les capacités humaines devient décisif et exige de rompre avec la priorité au capital.

La politique peut et doit agir. D’une part pour développer les services publics dans chaque pays (santé, éducation, recherche, transports, énergie, protection sociale, etc.) en créant immédiatement un Fonds européen social, écologique et solidaire, alimenté par la BCE avec les euros qu’elle crée à 0 % et doté d’une structure démocratique. Il appuierait aussi l’élévation de la protection sociale en Europe de l’Est pour calmer le jeu de la concurrence folle. D’autre part, pour changer le comportement des entreprises et des banques : BCE et les banques devraient financer les entreprises, avec des conditions sociales et écologiques précises sur leurs productions et décisions d’investissements.

La logique nouvelle ? C’est de baisser le coût du capital d’autant plus que l’investissement des entreprises crée des emplois de qualité et qu’il est efficace pour l’écologie, l’économie et les territoires. C’est une rupture très profonde.

Au-delà, il faut instaurer de nouveaux droits et pouvoirs des salariés et des habitants sur les entreprises et les banques avec des institutions nouvelles.

L’adversaire, ce ne sont pas les peuples voisins, ni l’autre (voisin, migrant, étranger). L’adversaire c’est le capital et la finance de marché. La BCE, institution publique, mutualisant la force des peuples européens, doit agir contre cet adversaire, ce véritable cancer, au lieu de l’appuyer et de le nourrir. Deux exemples : l’État français verse plus de 40 milliards d’euros par an d’intérêts aux marchés financiers. De même la SNCF verse 2,7 milliards d’euros aux institutions financières. Autant que ses investissements !

Au total, la BCE fournit 700 milliards aux banques, mais sans conditions sérieuses. Elle détient des titres publics pour plus de 2 600 milliards d’euros, mais avec des conditions anti-sociales et des prélèvements éhontés. Cela montre toutefois que l’on peut agir. Mais en s’attaquant au coût du capital, pas au « coût du travail », pour une autre utilisation de l’argent !

En effet, concilier avec les marchés financiers mène à la catastrophe. Et ne faire que les limiter ne fait pas le poids, car leur logique massive l’emporte face à des digues illusoires. Il est aussi illusoire de ne faire que corriger les excès ou de préconiser que chacun se débrouille dans son pays avec son patronat prétendument national. Enfin, les politiques dites keynésiennes de pur soutien à la demande ne font pas le poids non plus : en face d’un revenu il faut tôt ou tard une production, en face de formations il faut tôt ou tard déboucher vers l’emploi. Tirons les leçons des échecs des politiques sociales-démocrates. Il faut agir aussi sur les entreprises et l’argent.

Il faut bien entendu changer de fond en comble cette construction européenne pour mutualiser les forces et les moyens entre les peuples et les pays, en refondant l’UE sur d’autres principes.

Mais à brève échéance on peut agir. Créer le Fonds européen pour les services publics est possible immédiatement, l’article 123.2 du Traité de Lisbonne l’autorise. Exigeons ce Fonds avec tous les peuples d’Europe. S’ils ne le créent pas, ce n’est pas que c’est interdit. C’est qu’ils ne le veulent pas !

Dans le même temps, la France doit exiger que la BCE rende prohibitif le refinancement des banques si c’est pour spéculer et refinancer à taux bas les prêts sur des critères sociaux et écologiques précis ; là aussi, des points d’appui institutionnels existent5.

 

1. Économiste, un des fondateurs de l’économie des conventions, auteur du livre Le Viol d’Europe ? Enquête sur la disparition d’une idée, Presses Universitaires de France, Paris, 2013.

2. Professeur.e de sciences économiques à l’université Paris X Nanterre, membre du Conseil scientifique de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), membre de la  commission consultative épargnants de l’Autorité des marchés financiers (AMF), responsable du pôle régulation financière du Think Tank Terra Nova et membre qualifiée de l’ONG Finance Watch.

3. Spécialiste en questions financières, membre fondateur d’ALLISS (Alliance Sciences Sociétés), chef de projet et coordinateur du conseil scientifique de la Chaire UNESCO, Bernard Maris, Économie Société, membre-animateur de Diem 25-France.

4. économiste, membre du conseil d’administration des « Économistes Atterrés », membre du CEN du PCF, auteur, avec Yves Dimicoli et Denis Durand de Une autre Europe - Un autre euro, pour le progrès social en coopération, aux éditions Le Temps des cerises, Paris, 2014.

5. Voir notamment l’avis du CESE que j’ai rédigé sur le financement des TPE/PME, adopté par 127 voix sur 171.

 

L'association Renaissance des lumières (https://www.renaissancedeslumieres.fr) a été fondée par des philosophes et des intellectuels de diverses spécialités, dans la conviction que face à la dureté de l'état du monde et aux divisions visibles ou cachées qui grèvent les forces de gauche, il importe de joindre présence dans les luttes et détours théoriques, de mettre de la théorie dans les luttes pour les faire gagner en justesse et en efficacité.

Le manifeste de l'association a été publié sous le titre Le capitalisme est-il la fin de l'histoire ? (Éditions du Pont 9, 2017) et sous la signature d'Édith Fuchs, Christian Houzel, Robert Lévy, Justine Malle, Christiane Ménasseyre, Anne Raymond, Hélène Raymond-Feingold, Philippe Renou, Xavier F. Renou, Hadi Rizk, Antoine Roullé, Jean-Jacques Szczeciniarz, 

Ne pas décevoir, ni maintenant, ni ensuite

Par Boccara Frédéric, le 31 August 2018

Ne pas décevoir, ni maintenant, ni ensuite

A partir de l’élan vital et du vote historique des communistes en faveur du texte « pour un Manifeste du parti communiste du xxie siècle », comme base commune de discussion pour le 38e congrès du PCF, un tournant fondamental est possible pour le PCF et pour toute la gauche. Il est nécessaire.

Cette base commune met en son cœur une réorientation du PCF, sur la base d’une nouvelle articulation entre social et « sociétal » (plus exactement entre économie et anthroponomie) face aux défis gigantesques qui sont face à nous, à commencer par le nouvel éclatement qui vient dans la crise systémique de longue durée. Cette nouvelle articulation insiste à la fois fortement sur l’économie, pas comme un point parmi d’autres mais comme un enjeu majeur et politique (comme l’annonce le titre de notre revue), et elle insiste dans le même temps sur la conjonction avec l’anthroponomie. Exploitation et dominations se renforcent, comme l’image le mot patron dont l’étymologie renvoie au « pater familias » (père de famille) avec toute une conception du pouvoir, des relations interpersonnelles et une forme de domination masculine ainsi véhiculée. Mais de l’autre côté, les luttes sociales et sociétales peuvent se conjuguer. Et il nous appartient d’y contribuer. Les luttes pour les droits des LGBT peuvent renvoyer aux luttes pour l’émancipation de la personne humaine dans la singularité de chacun. e et, indissociablement, sociale : levier formidable pour mettre en cause la réduction de chaque personne à une chose, à une marchandise – la force de travail – au cœur du marché capitaliste. C’est dire la puissance émancipatrice de l’enjeu d’une sécurité d’emploi et de formation (SEF), qui peut se nourrir des luttes dites sociétales et des luttes sociales, sans qu’aucune ne soit la pré-condition de l’autre.

Ce sont aussi les enjeux de l’écologie, pour une part « inter-classistes » car chaque être humain est concerné dans son existence ou dans le devenir du genre humain. Ils peuvent nous permettre de rassembler comme jamais, non pas pour éviter les enjeux difficiles de l’argent, des pouvoirs à conquérir sur son utilisation et de la logique capitaliste. Mais pour mieux affronter les questions majeures de la domination de la recherche de profit – ce que nous appelons la domination du capital – qui consiste à la fois en une logique, des coûts, des règles, des pouvoirs et des institutions. Pour mieux souligner le besoin de révolution.

Nicolas Hulot a insisté, tardivement, sur les arbitrages budgétaires défavorables au sein du gouvernement, sur les « lobbies » (en fait le grand capital financier) et même sur les pouvoirs des multinationales. Après son départ du gouvernement, il apparaît de plus en plus clair que l’on ne peut pas dépolitiser l’écologie, ni faire croire qu’elle serait compatible avec l’austérité, ni conciliable avec la logique actuelle des grandes multinationales. Changer les critères de gestion des entreprises est fondamental pour répondre au défi écologique. Comme de sortir les dépenses publiques de l’étau des marchés financiers. Dans le même temps, cela appelle, de notre part, des innovations dont la dimension culturelle ne doit pas être sous-estimée, en particulier concernant l’importance d’une nouvelle consommation, ou une conception parfois suiviste de la technologie (la technologie est décisive mais elle n’est pas neutre, on ne doit pas laisser son élaboration aux dominants).

L’écologie renforce le besoin de révolution. Elle peut nous permettre de prendre en tenaille l’entreprise capitaliste et les banques, du dedans, avec les salariés de toutes catégories, comme du dehors avec les habitants et usagers. La bataille amorcée pour Alstom, avec l’appel lancé par nous et co-signé à la fois par des syndicalistes d’Alstom, des banques, mais aussi par Jean Jouzel, climatologue important et membre du GIEC, en indique les potentialités.

D’autres potentialités considérables existent concernant l’Europe et la mondialisation. Elles rencontrent des enjeux décisifs de l’emploi, de l’écologie, d’une autre culture, des services publics et de l’émancipation face à la domination des marchés financiers.

Tout cela implique deux autres réorientations majeures : entreprise et affirmation communiste.

L’entreprise est le trou noir de la pensée économique dominante, néo-classique. C’est aussi la grande absente des enjeux portés par les autres partis et organisations politiques. Ce ne serait « pas une question politique » prétendait Pierre Gattaz du Medef. Nous pensons tout le contraire : avant tout à cause des pouvoirs qu’ont les entreprises sur les gens, les vies et les territoires. C’est pourquoi une implantation du PCF dans entreprises est fondamentale, conjuguée avec son organisation en-dehors de l’entreprise (cités populaires, banques, services publics) ou dans les institutions politiques. « Conjuguer », là est peut-être la piste pour la novation à effectuer en la matière. C’est une question qui est loin d’être purement administrative. Elle va demander un effort d’élaboration créative considérable, en lien avec les forces militantes et intellectuelles.

L’affirmation communiste ? Non pas la proclamation à blanc d’une étiquette mais une affirmation d’idées, construites et repérables, un apport de propositions, un appui par des élus et – surtout peut-être dans les conditions actuelles – le PCF lui-même, dont l’organisation s’est profondément affaiblie, tout autant le lien avec les départements et fédérations que l’organisation avec les régions, échelon pourtant majeur, que le lien avec les entreprises aux plans territorial, national et même international. Et bien sûr les liens avec les autres acteurs progressistes et les partis communistes dans le monde. À chaque fois dans un souci d’action, de novation et de rassemblement.

Ce congrès du PCF peut permettre un véritable rassemblement des communistes, non pas sur des formules habilement rédigées ou sur je ne sais quelle synthèse « de sommet », mais tourné vers l’action. Un rassemblement de nature nouvelle, en lien avec la mise en œuvre d’une novation tant refoulée, mais mieux ancrée dans nos racines pour aller conquérir le nouveau qui cherche tant à advenir. Bataille d’idées, luttes sociales, luttes politiques, formation théorique et pratique, élaboration en lien avec la vie et l’action, bref sortir de la paralysie et être utiles. Mais aussi deux choses : d’une part organiser du retour d’expérience, en fonction de la vie, du terrain, des difficultés ou des réussites, sans rouvrir bien sûr à chaque fois tous les débats d’orientation fondamentaux dès lors que le congrès aura fait des choix clairs ; d’autre part considérer que d’autres débats se poursuivront au-delà du congrès et que nous aurons collectivement la responsabilité de les favoriser. Les favoriser pour construire et non pour ressasser des différences apparaissant à un moment ou un autre entre communistes. Les favoriser à la lumière de la pratique.

Un rassemblement de nature nouvelle est possible. Et il peut intéresser bien au-delà du PCF, syndicalistes, intellectuels, militants associatifs, altermondialistes, de la solidarité, peuple de gauche.

Le PCF peut rompre avec la présidentialisation de sa direction politique, comme avec l’effacement de ses propres idées, chercher avec d’autres ce que Gramsci appelle des « hégémonies culturelles » et non l’hégémonie d’un appareil. Le PCF, enfin, peut par sa pratique chercher à relever les nouveaux défis de pouvoirs et de lutte, dans ce monde où « les nouveaux tanks contre les peuples, ce sont les banques ». Il peut avancer dans le sens d’une conception qui ne récuse pas la nécessaire conquête de pouvoirs institutionnels et d’État, mais y conquiert des positions dans la perspective de permettre au mouvement populaire de conquérir lui-même du pouvoir sur les entreprises et les banques face au capital.

C’est possible. Cela va demander du travail créatif. Il ne faut pas décevoir l’espoir levé par les communistes.

Economie & Politique et ses lecteurs peuvent continuer à jouer le rôle rassembleur et créateur joué jusqu’ici dans cet esprit. 

Faire de la politique à l’entreprise (Dossier)

le 31 August 2018

Faire de la politique à l’entreprise (Dossier)

Faire de la politique dans l’entreprise, pourquoi ? Pour revenir à une vieille tradition communiste ? Parce que la machine à café est un lieu où on peut parler aux citoyens ? Aucune de ces raisons ne justifierait que ce sujet ait été inscrit à l’ordre du jour du congrès du PCF.

Ce qui en fait un enjeu politique majeur, en ce début du XXIe siècle, c’est que l’entreprise est plus que jamais un enjeu politique et culturel qui structure les politiques économiques, une institution où se jouent des batailles de pouvoir déterminantes et où se structurent les idées politiques et les comportements électoraux. Comme l’écrit la base commune à partir de laquelle les débats préparatoires au congrès ont eu lieu, « l’entreprise est un lieu décisif de la lutte de classes. Lieu de pouvoir sur l’économie, la société et la vie quotidienne, c’est aussi un lieu où le patronat peut imposer ses idées. Un lieu où se forge un vécu d’expériences et des mentalités sur lesquelles peuvent s’imposer les idées dominantes comme se construire une conscience de classe.

C’est si vrai que les gouvernements successifs, dans le sillage du Medef, n’ont cessé de faire de l’entreprise la pièce centrale de leur politique, cherchant ce que Hollande a pu qualifier de « compromis historique » de soumission des salariés et de la société aux objectifs patronaux. Avec Macron, ce chantier prend une bien plus grande ampleur en visant une destruction sans précédent des acquis sociaux, tout en cherchant à intégrer le plus possible le salariat à ses choix politiques à partir de l’entreprise.

Pour libérer la politique de la dictature du marché, il faut une appropriation sociale effective des entreprises et des banques, et de toutes les institutions qui leur sont liées. De même que nous n’entendons pas déléguer la politique et l’intérêt général au sommet de l’État, nous devons refuser de déléguer la gestion des entreprises, avec la production des richesses, aux capitalistes. La séparation entre l’économie et la politique est au cœur du capitalisme et de ses aliénations. Nous voulons la dépasser.

Il est donc vital de relancer réellement, sans se contenter de promesses de congrès, la vie du parti et le combat organisé si indispensables dans les entreprises et autour d’elles. C’est aussi la condition pour faire progresser une conscience de classe et une unité politique du salariat dans sa diversité, sur l’ensemble des enjeux qui le concerne, dans l’entreprise comme dans la cité. »

Après une longue période où la modification du système productif, la diversification du salariat, l’évolution des conditions de vie, les difficultés mêmes rencontrées par le syndicalisme, ont pu paraître justifier un abandon de l’entreprise comme terrain concret de la bataille politique, plusieurs signes indiquent des évolutions nouvelles significatives. La place que les débats du Parti communiste donnent à son organisation dans l’entreprise en est un. Le besoin exprimé dans le mouvement syndical en est un autre, comme le montre la prise de position de Laurent Brun que nous reproduisons dans les pages qui suivent. C’est aussi ce qui ressort du débat entre une dirigeante syndicale, Valérie Lesage, un responsable politique, Igor Zamichiei, et le président des parlementaires communistes à l’Assemblée nationale André Chassaigne, dont nous publions également le compte rendu.

Les batailles politiques dans l’entreprise ne peuvent être gagnées que si elles s’appuient sur des idées solides, sur un réarmement idéologique assez fort pour tenir tête à l’idéologie patronale et aux prétentions hégémoniques des doctrines néolibérales dont Emmanuel Macron se fait un ardent propagateur. Par exemple, c’est une grande force que de s’appuyer sur la cohérence entre objectifs sociaux, mobilisation des moyens financiers et conquête de nouveaux pouvoirs des travailleurs à cet effet. C’est une grande force de pouvoir briser le tabou du coût du capital pour faire percevoir qu’il existe des alternatives aux gestions patronales pilotées par la dictature des marchés financiers. L’article de Claude Laridan montre que des idées d’avant-garde – la lutte pour de nouveaux critères de gestion entrant en conflit avec les critères capitalistes fondés sur le calcul du taux de profit, de la rentabilité du capital – peuvent trouver une traduction concrète, comptable, au service des luttes syndicales et des mobilisations politiques dans les entreprises et dans les territoires1. La bataille engagée par les communistes d’Albi pour l’avenir de la Verrerie ouvrière et du groupe Verallia auquel elle appartient aujourd’hui s’appuie sur ces outils. Cela montre la fécondité d’une conception cohérente du dépassement, progressif mais effectif, du capitalisme, telle que l’exprime la proposition de loi sur la sécurité de l’emploi et de la formation et sa déclinaison dans le projet de proposition de loi d’expérimentation « entreprises et territoires », dont nous publions la dernière version, modifiée à la suite de confrontations avec de multiples acteurs depuis six mois.

AU SOMMAIRE

- Syndicaliste et communiste par Laurent Brun 

- Du nouveau dans les relations  entre syndicalisme, bataille d’idées et parti politique révolutionnaire par André Chassaigne, Valrie Lesage, Igor Zamichiei

- Comptabilité et nouveaux critères de gestion par Claude Laridan

Verrerie ouvrière d’Albi : le PCF propose et agit par Anne Lafaurie 

Quel projet pour le groupe Verallia et pour ses territoires ? par Anne Lafaurie

- Projet de proposition de loi d'expérimentation 

Budget. Logement, famille et retraites au régime sec

le 27 August 2018

Budget. Logement, famille et retraites au régime sec

Le Premier ministre Édouard Philippe confirme le gel de certaines prestations sociales (APL, allocations familiales, pensions de retraite) et la suppression de 4.500 postes de fonctionnaires en 2019 avec l’objectif d’en supprimer 50.000 d’ici 2022. Ce choix de l’austérité, alors que la croissance est faible et que l’inflation galope, va amputer le pouvoir d’achat de millions de Français.

Les choix budgétaires définitifs du gouvernement Macron-Philippe pour 2019 seront connus fin septembre, lors du dévoilement du projet de loi de finances. Mais hier, dans le Journal du Dimanche (JDD), le Premier ministre Édouard Philippe en a détaillé les grandes lignes et la philosophie. Au prétexte de privilégier « le travail » -à coup de suppressions de cotisations sociales- le couple exécutif va chercher des économies dans les budgets sociaux et les prestations. Bref, il fait le choix de sabrer dans des allocations indispensables à des millions de Français.

Croissance faible

L’ancien conseiller d’Alain Juppé, devenu le premier collaborateur « de droite » de Macron, admet que la croissance est faible : 1,7% en 2018 et 2019. A croire que les mesures prises par l’exécutif -notamment la suppression de l’impôt sur la fortune et la réforme du code du travail- n’ont pas débouché sur la reprise économique promise par le golden boy de l’Elysée. Édouard Philippe reste, comme son mentor, droit dans ses bottes : « Si la croissance ralentit, il y aura forcément un impact. Mais ça nous ne nous empêchera pas d’être dans la ligne de nos engagements, sur la baisse des prélèvements obligatoires comme sur la maîtrise de la dépense publique et de la dette », assène-t- il dans le JDD.

Des coupes dans les budgets sociaux

Il annonce la diminution du financement « des politiques qui ne sont pas efficaces, par exemple, sur le logement et les emplois aidés ». Concrètement, l’aide personnalisée au logement (APL), les allocations familiales et les pensions de retraite ne seront plus indexées sur le coût de la vie (l’inflation) et seront quasiment gelées en 2019 et 2020 (+0,3% seulement), ce qui va se traduire par leur diminution et une baisse importante du pouvoir d’achat.

L’illusion des heures sup’ revalorisées… de 10%

Édouard Philippe assume cette politique qui « privilégie la rémunération de l’activité et qui rompt avec l’augmentation indifférenciée des allocations ». Il vante, a contrario, la suppression totale des cotisations sociales sur les heures supplémentaires à partir de 2019. Sauf que la rémunération des heures supplémentaires est en forte baisse depuis la réforme du code du travail qui la limite à 10% contre 25% précédemment.

Les services publics saignés

Les services publics n’échappent pas à la saignée. Le premier ministre annonce la suppression, en 2019, de 4.500 postes dans la fonction publique d’État, notamment au ministère des Finances, et l’objectif d’en supprimer 50.000 d’ici 2022. Au total, avec la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale, 120.000 emplois sont dans le viseur de l’exécutif. Un affaiblissement des services publics qui va compliquer un peu plus le quotidien des Français.

Françoise Verna (La Marseillaise, le 27 août 2018)

Réactions. La gauche vent debout

Boris Vallaud, député PS. « Alors que la croissance était vigoureusement revenue et que le chômage baissait de manière constante lors des deux dernières années du précédent quinquennat, un an de politique de démolition du président Macron aura suffi à casser la croissance, à augmenter le chômage et relancer l’inflation. Cela malgré les dizaines de milliards d’euros données aux premiers de cordée et les dérogations au code du travail offertes aux entreprises. »

Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. « La logique du gouvernement va conduire à des économies drastiques dans tous les domaines : les budgets publics vont être écrasés, les prestations sociales vont être mises en cause. Cette politique est injuste, inefficace et dangereuse, source d’inégalités et sans effet sur la croissance et l’emploi. Il faut sortir des politiques d’austérité, investir différemment dans les salaires et, pour ça, récupérer l’argent injustement injecté dans les dividendes. »

Jean-Luc Mélenchon, député France insoumise. « Ça va être terrible, ça va être très dur pour les gens (…), pour ceux qui n’auront plus leurs prestations de toutes sortes. Leur budget va être de plus en plus intenable et se faire toujours au même prix, petit à petit, l’État social se dissout, et l’État administratif s’effondre, puisqu’il y a moins d’argent qui rentre dans les caisses, (…) avec notamment 4,5 milliards d’euros donnés avec la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF). M. Macron est absolument illuminé par l’idée que le secteur privé va remplacer le secteur public qui est de trop.»

La Marseillaise, le 27 août 2018

Budget 2019. Le gouvernement ne compte pas changer de cap

le 27 August 2018

Budget 2019. Le gouvernement ne compte pas changer de cap

Le Premier ministre a dévoilé son plan de réduction des dépenses.

Le ralentissement économique qui affectera le budget 2019 portera-t-il un coup de frein au rythme des réformes enclenchées par la nouvelle majorité depuis l’élection d’Emmanuel Macron ? La réponse est « non », et c’est Édouard Philippe qui le dit, annonçant une série de mesures pour 2019 qui doivent permettre, selon lui, « de rester dans la ligne de nos engagements ».

Car le chef du gouvernement vient de confirmer le chiffre : la croissance ne s’établira pas à 1,9% en 2019 comme l’avait prévu l’exécutif, mais plutôt à 1,7%. 0,2% de différence qui, selon Édouard Philippe, obligent à revoir la copie budgétaire de l’État. Dans un entretien au « JDD », le Premier ministre a révélé sa stratégie de réduction des dépenses publiques.

Baisse des contrats aidés

Trois prestations sociales -« l’aide personnalisée au logement, les allocations familiales, les pensions de retraite »- « progresseront de façon plus modérée, de 0,3% par an en 2019 et en 2020 », a révélé Édouard Philippe. En revanche, « les prestations qui bénéficient à nos concitoyens les plus fragiles, comme le RSA, seront augmentées conformément à la loi », a-t-il ajouté.

Il a en outre assuré que « la prime d’activité, le minimum vieillesse, l’allocation pour les adultes handicapés » augmenteraient, quant à eux, « très significativement ».

Il a annoncé que « dès le 1er septembre 2019, les cotisations salariales sur les heures supplémentaires seront supprimées pour tous les salariés, dans le privé comme dans le public ». Selon lui, « cela représentera en moyenne plus de 200 euros supplémentaires par an » pour« une personne payée au Smic » et la mesure coûtera « 2 milliards » d’euros.

Le chef du gouvernement a par ailleurs confirmé que les contrats aidés, qui ont déjà nettement baissé depuis le début du quinquennat, verraient leur financement « diminuer ». Édouard Philippe prévoit également la suppression d’environ 4.500 postes dans la fonction publique d’État en 2019, et le chiffre sera « supérieur à 10.000 en 2020 ».

Recrutement de policiers

« Mais il y aura par ailleurs des recrutements : plus 2.000 agents supplémentaires dans la police, la gendarmerie et à la DGSI, 1.300 à la justice - parce qu’il s’agit de priorités ». Interrogé sur l’inquiétude que suscite la mise en place du prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source, Édouard Philippe s’est voulu rassurant : il a expliqué que cette révolution fiscale a été retardée d’un an par l’exécutif « parce que nous voulions être sûrs qu’elle serait mise en œuvre dans de bonnes conditions ». Et a promis qu’un point serait fait dans les prochaines semaines. Enfin, il a écarté l’hypothèse d’une mesure de transfert du financement des arrêts maladies vers les entreprises. Début août, l’idée de l’exécutif de faire prendre en charge par les entreprises, à la place de la Sécurité sociale, quatre jours d’indemnités journalières pour les arrêts de moins de huit jours, avait en effet été révélée et suscité une levée de boucliers immédiate du patronat.

L'Indépendant, le 27 août 2018

L’opposition durcit le ton

Droite et gauche ont durci le ton ce week-end à l’occasion de la rentrée politique, face à un exécutif qui entend tenir le cap des réformes malgré une popularité en berne à neuf mois des élections européennes. Le président des Républicains Laurent Wauquiez a sommé Emmanuel Macron et le gouvernement de « rendre l’argent aux Français », lors de son discours en Haute-Loire qui se voulait une démonstration de force. La veille, Jean-Luc Mélenchon avait promis au chef de l’État « une raclée démocratique » aux Européennes de mai 2019. Hier, le chef de file de La France insoumise (LFI) est revenu à la charge pour dénoncer la « saignée de l’État et des services publics » programmée selon lui par l’exécutif. Rentrée compliquée encore sur le front des sondages : le chef de l’État perd 5 points dans le baromètre de l’Ifop et voit sa popularité s’effondrer, avec 34 % seulement de « satisfaits », son score le plus bas depuis son entrée en fonction.

L'Indépendant, le 27 août 2018

Macron veut faire les poches des Français

le 25 August 2018

Macron veut faire les poches des Français

Certaines prestations sociales ne vont être qu’en partie ou pas du tout revalorisées. Des choix qui sont dans le droit il des déclarations d’Emmanuel Macron sur le « pognon de dingue » qui serait dépensé. La réalité est tout autre : les minima sociaux, comme le RSA, représentent moins de 2 % du PIB et le modèle social français, certes perfectible, a fait ses preuves en faisant reculer la pauvreté.

Cela se précise : certaines prestations sociales ne vont être qu’en partie ou pas du tout revalorisées et les arbitrages seront connus en fin de semaine, affirme un article paru dans Les Echos vendredi.

Selon le quotidien économique, cette revalorisation partielle ou inexistante de certaines aides sociales pour 2019 doit permettre au gouvernement de réaliser des économies pour respecter son objectif budgétaire pour l’an prochain. Clairement dit, le gouvernement Macron-Philippe entend faire les poches des Français. Un coup de rabot qui concernera notamment les aides au logement et les minima sociaux.

Le taux de pauvreté le plus bas d’Europe

Ces décisions ne sont pas une surprise. Elles sont dans le droit fil des déclarations du printemps d’Emmanuel Macron qui estimait que les prestations sociales coûtaient « un pognon de dingue ».

Dans le collimateur du libéral Macron, on trouve en particulier le Revenu de Solidarité Active (RSA). Mais l’ensemble des minima-sociaux (RSA, prime d’activité, allocation adulte handicapé et miminum vieillesse) représentent en réalité moins de 2% du PIB soit 40,5 milliards. On est loin du « pognon de dingue » !

A ce propos, le dernier rapport de la DRESS -le service statistique du ministère de la santé- publié en juin dernier, démontrait qu’en ne dépensant pas plus que ces voisins européens, la France affichait des taux d’exclusion et de pauvreté plus faibles. Notamment un taux de pauvreté monétaire -nombre de personnes vivant avec moins de 1.000 euros par mois- de 13,6% contre 16,6% en Allemagne.

Quant aux prestations sociales, qui s’élevaient à 714,5 milliards d’euros en 2016, elles servent essentiellement (46%) à payer les pensions de retraite, la maladie et l’invalidité (35%). Une partie (5,5%) va aux aides au logement, 8% à la famille et 6% à l’indemnisation chômage. Rien de superflu et aucun assistanat ici puisque ces prestations sont essentiellement financées par les cotisations des salariés. Cette part du salaire que chacun accepte de mettre au pot commun et à laquelle s’attaque aussi le gouvernement via leur suppression et leur remplacement par une hausse de la CSG.

La démarche des macronistes est avant tout idéologique. Ils devront l’expliquer aux Français qui à 81%(*) estiment qu’il faut « maintenir le niveau des prestations plutôt que de le diminuer en échange d’une baisse d’impôt ».

Françoise Verna (La Marseillaise, le 25 août 2018)

(*) Baromètre annuel de la DRESS

Budgets sociaux : la guerre est déclarée !

« Pognon de dingue », « logique de guichet »… Ces derniers mois, le pouvoir macroniste prépare les Français à une mise en pièces du modèle social en arguant de l’inefficacité des prestations sociales et des minima sociaux. Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités (sic) et de la santé, joue dans cette mauvaise pièce le rôle du « gentil flic » en faisant mine de s’émouvoir des intentions du Premier ministre et du chef de l’État de geler le Revenu de Solidarité Active. Mais qu’attend-elle pour démissionner si les choix et orientations politiques de ses amis lui déplaisent autant ?

Un modèle issu du vieux monde

À croire que son émotion n’est que posture. Car lorsqu’elle est interrogée dans les médias, la ministre défend avec conviction le « changement de paradigme », autrement dit, de modèle de société, que Macron veut imposer au pays. Et fait sienne la petite musique consistant à murmurer à l’oreille des Français que l’argent ne sort pas de la pauvreté !

Ce modèle libéral est une vieille lune issue d’un vieux monde défendu un temps par Reagan et Thatcher avec les dégâts que l’on sait. Macron s’inscrit pleinement dans cette filiation.
 

Françoise Verna (La Marseillaise, le 25 août 2018)

En France, 44 milliards de dividendes distribués !

le 22 August 2018

En France, 44 milliards de dividendes distribués !

Au deuxième trimestre, 431 milliards d’euros de bénéfices ont été versés aux actionnaires dans le monde. Un record dont un des champions est la France avec pas moins de 44 milliards d’euros distribués sur la même période. La recette d’une telle moisson ? Pressurer les salariés !

Ce n’est pas la crise pour tout le monde. Au royaume des places boursières, les bénéfices ruissellent dans l’escarcelle des actionnaires et atteignent des niveaux stratosphériques. Selon la dernière édition du cabinet Janus Handerson, publiée lundi, les entreprises ont versé près de 500 milliards de dollars (431 milliards d’euros) aux actionnaires dans le monde au deuxième trimestre de cette année. Soit une progression de 12,9%.

La France au 3e rang

La distribution des dividendes est en hausse partout dans le monde et atteint des records notamment au Japon, aux États-Unis et en France.

Les entreprises françaises sont parmi les championnes avec 44 milliards d’euros distribués aux actionnaires au deuxième trimestre (en Europe, deux tiers des versements annuels se font sur cette période). Selon le journal La Tribune, c’est « du jamais vu sur le sol français » avec une progression de 23,6%. « Une hausse quasiment deux fois plus importante que celle observée au niveau mondial », précise le journal économique. Il souligne que « La France se situe au troisième rang derrière les États-Unis et le Japon dont les entreprises ont reversé respectivement 127,3 milliards de dollars de dividendes et 35,9 milliards de dollars ». Le journal Les Echos rappelle de son côté qu’au deuxième trimestre 2018, « les entreprises européennes ont versé un montant record de 176,5 milliards de dollars ». Parmi les entreprises françaises qui engraissent le plus leurs actionnaires, on trouve le groupe pharmaceutique Sanofi et la banque BNP Paribas, qui « se placent respectivement à la 4e et à la 5e place », souligne La Tribune qui cite aussi le groupe Total à la dixième place.

Le groupe de luxe LVMH et l’assureur Axa « ont le plus contribué à la croissance des dividendes versés en France ».

Françoise Verna (La Marseillaise, le 22 août 2018)

Dividendes, une affaire de haut vol

La rentabilité des grands groupes est au beau fixe, en témoigne le montant hallucinant des profits distribués au deuxième trimestre aux actionnaires dans le monde. Ces centaines de milliards d’euros ne vont pas être réinvestis dans les outils de production ou reversés aux salariés de ces multinationales. Creusant un peu plus les inégalités déjà béantes. Les mesures fiscales de l’ultra-libéral Donald Trump aux États-Unis placent les majors américaines sur le podium mais la France fait aussi partie des pays qui redistribuent le plus de dividendes aux actionnaires. Là encore, les décisions politiques de l’ultra-libéral Macron ne sont pas étrangères à cette course folle.

Parmi les entreprises très généreuses en la matière, citons l’exemple de Sanofi. Le groupe pharmaceutique n’est avare qu’avec ses salariés. En 2016, ses dirigeants ont décidé de supprimer 600 emplois en trois ans et un plan « d’économies » de 1,5 milliard.

L’intérêt général piétiné

Dans son étude sur les pratiques des entreprises du CAC 40, l’ONG Oxfam souligne également que si l’impôt avait augmenté au même rythme que les bénéfices depuis 2011, « les entreprises auraient payé 13 milliards d’euros supplémentaires d’impôts au niveau international en 2016 ». Et de souligner qu’en France, l’explosion des crédits d’impôts -sans aucun contrôle- ont quasiment doublé en 10 ans pour atteindre 26 milliards en 2016. Il est temps de réhabiliter l’intérêt général, piétiné par cette avidité pratiquée à grande échelle.

Françoise Verna (La Marseillaise, le 22 août 2018)

« CAC40 : des profits sans partage »

Oxfam France et le Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne (BASIC) ont publié en mai dernier une étude sur le partage de la richesse au sein des entreprises du CAC40 depuis 2009. Extraits.

Depuis 2009, les entreprises du CAC 40 ont reversé plus de deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes,ne laissant que 27,3% au réinvestissement et 5,3 % aux salariés. La France est ainsi le pays au monde où les entreprises cotées en bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires. C’est aussi deux fois plus que dans les années 2000 où les entreprises ne versaient pas plus de 30% de leurs bénéfices à leurs actionnaires. Engie est la championne toute catégorie en ayant reversé aux actionnaires sous forme de dividendes, trois fois le montant de ses bénéfices réalisés sur la période 2009-2016. Les salariés sont les grands sacrifiés de ce partage inégal. En 2016, les entreprises du CAC 40 ont ainsi reversé près de 15 fois plus de bénéfices à leurs actionnaires (sous forme de dividendes) qu’à leurs salariés (sous forme d’intéressement et participation). Si elles avaient choisi de maintenir en 2016 le même niveau de dividendes qu’en 2009 et d’augmenter la rémunération des employés plutôt que celle des actionnaires, l’ensemble des travailleurs du CAC 40 dans le monde auraient pu voir leurs revenus augmenter en moyenne d’au moins 14.000 euros sur la période, soit plus de 2.000 euros par an et par employé.

Des investissements en baisse de 17 milliards

Deuxième grand perdant du partage des profits, l’investissement dont la baisse significative fragilise à terme la santé économique des entreprises françaises. En 2011, alors que les bénéfices étaient en baisse de plus de 10%, les entreprises du CAC 40 ont augmenté les dividendes versés aux actionnaires de plus de 15% (+5,9 milliards d’euros) et sacrifié leur capacité à investir en la diminuant de plus de 38% (-17 milliards d’euros). (…) La spirale des inégalités résulte aussi d’un grand écart salarial avec des rémunérations qui explosent pour les hauts dirigeants au détriment de rémunérations toujours aussi faibles pour la plupart des employés (…) Dernier ingrédient du partage inégal de la valeur ajoutée des entreprises du CAC40 : les stratégies d’évitement de l’impôt qui permettent aux entreprises de maximiser leurs bénéfices par une présence accrue dans les paradis fiscaux ». Extraits du rapport « CAC40 : des profits sans partage ».

La Marseillaise, le 22 août 2018