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Services publics : un atout maître pour changer l'Europe et le monde

Par Dimicoli Yves , le 31 May 2018

Services publics : un atout maître pour changer l'Europe et le monde

L’Europe se trouve à la croisée de tout ce qui concourt à la destruction des services publics et du bien commun par le capital financier et, en même temps, à la nécessité vitale et aux exigences populaires de les sauvegarder et de les promouvoir. Berceau de la civilisation capitaliste en crise si profonde, elle pourrait, parce qu’elle en souffre singulièrement, chercher à dépasser les antagonismes.

La zone euro a été conçue dans la perspective de rivaliser avec l’imperium du dollar et de Wall-Street dans l’attraction des capitaux mondiaux, dans le but illusoire d’arriver à imposer pacifiquement aux États-Unis un partage de leur domination financière sur le monde.

Dans cette tentative, l’Allemagne industrieuse, forte de sa mainmise sur les PECO après la chute du mur de Berlin, entendait être hégémonique sur cette zone, grâce à sa puissance économique, pour asseoir son expansion mondiale. La préoccupation cardinale de ses dirigeants étant que ses partenaires dans l’Union européenne (UE) se spécialisent pour favoriser l’essor de sa propre base productive, elle a toujours refusé d’entrevoir le fédéralisme européen autrement que comme un aboutissement mythique de ce long effort d’adaptation structurelle. Avec un euro conçu aux normes de l’ordolibéralisme, cela a permis à l’Allemagne et à ses satellites de l’ancienne zone mark d’accumuler progressivement d’énormes excédents de paiements au détriment de ses partenaires d’Europe du sud, France comprise.

De son côté, la France, lui offrant l’éventualité d’un partage du feu nucléaire, caressait le pari, illusoire, de faire de l’Union européenne, à partir de la zone euro, un condominium franco-allemand militaro-industriel. Soucieux de promouvoir la croissance des capitaux financiers dominant l’hexagone après avoir miné ses bases industrielles, ses dirigeants ont toujours essayé d’obtenir de leurs homologues allemands d’engager sans attendre la construction européenne sur une voie fédéraliste.

Prélèvements financiers contre prélèvements publics et sociaux

L’euro a été conçu comme monnaie unique de placement, sous la houlette d’une BCE réputée à l’abri, grâce au « pacte de stabilité et de croissance », de toute injonction politique et sociale (la prétendue indépendance), pour n’avoir qu’à se préoccuper de lutte contre l’inflation des prix à la consommation, de stabilité et d’attractivité financières, comme il lui en a été fait obligation depuis le traité de Maastricht1. Le 2 mars 2012, vingt-cinq pays de l’Union européenne (les 27 moins le Royaume-Uni et la République tchèque), ont signé un Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), appelé aussi « Pacte budgétaire européen », qui, dans la même veine, impose encore plus d’austérité et de reculs de la démocratie parlementaire dans la zone euro.

Cela a fini par engendrer, avec les politiques d’austérité et de soutien aux capitaux financiers, un véritable cancer sur la zone : la part des richesses produites allant aux prélèvements financiers (intérêts, dividendes…) s’est envolée, exigeant alors des reculs systématiques et continus de la part des richesses produites servant, elle, à financer les services publics et les prestations sociales (impôts et cotisations). Alors que toutes les politiques conduites, notamment au plan structurel, convergeaient vers le freinage des dépenses publiques et l’abaissement du « coût du travail », les métastases du coût du capital ont progressivement envahi toutes les économies européennes, en particulier dans les pays du Sud.

Aussi, la crise financière de 2007-2008, partie des États-Unis, a-t-elle frappé avec une violence particulière la zone euro où elle s’est prolongée par une grave crise des dettes publiques et une retombée précoce en récession, alors que le reste du monde occidental, tiré par la Chine et les pays émergents, a pu mettre le pied à l’étrier d’une nouvelle reprise, certes atypique, dès 2009.

Au cœur des difficultés européennes si profondes, on retrouve donc l’acharnement des dirigeants européens contre les services publics et sociaux, deux piliers fondamentaux du « modèle social européen » qui, fort de ses diversités nationales et malgré les coups portés, fait toujours se différencier l’UE des États-Unis et de leur « modèle anglo-saxon ».

Le cap pris et maintenu jusqu’ici a conduit les Européens au bord du gouffre de la déflation et d’un cataclysme bancaire qui aurait été fatal à l’euro. La situation aurait été alors propice à déclencher une concurrence intra-européenne à mort et un véritable chaos social propices aux bouffées nationalistes et xénophobes violentes.

Face à ce risque et aux colères des travailleurs européens saturés de chômage, de précarité et d’austérité, le garrot étroitement maintenu sur la création monétaire de la BCE pour garder l’inflation des prix à la consommation (IPCH) le plus proche possible mais en dessous de 2 % par an, a été desserré et les taux d’intérêt abaissés jusqu’à passer, pour certains, sous la « borne zéro ».

Mais les immenses liquidités injectées par la BCE dans le système bancaire2 ont été utilisées surtout pour alimenter la croissance financière des capitaux et la spéculation. Quant à l’hésitant redémarrage de l’investissement matériel, à partir de 2014-2015, avec une reprise conjoncturelle tardive tirée par l’activité mondiale, il a mobilisé les potentiels considérables d’économie de travail de la révolution informationnelle pour la rentabilité financière. Il a donc contribué à miner encore plus la sécurité de l’emploi, la mobilité professionnelle choisie et déprimer les coûts salariaux sur fond d’insuffisance aiguë de création d’emplois de qualité, de formation, de recherche et d’investissements efficaces.

Les dirigeants européens se sont saisis de la reprise conjoncturelle, amorcée début 2013, comme d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer les réformes structurelles anti-sociales requises par l’achèvement du marché unique européen et la protection de « l’indépendance » de la BCE, redoublant dans le pilonnage de la sphère publique et des biens communs.

Aujourd’hui, la zone euro se présente fragmentée avec, d’un côté les pays de l’ancienne zone mark autour de l’Allemagne, affichant des performances macro-économiques apparemment convenables, même si la crise sociale y fait rage aussi, et, d’un autre côté, les pays d’Europe du Sud, France comprise, affichant des performances autrement plus médiocres.

L’Europe et la France enjeux de civilisation nouvelle

Chez ces derniers, le martyre imposé aux Grecs a été agité par les dirigeants successifs comme un épouvantail pour justifier l’obligation, non de développer les services publics et sociaux, ce qui aurait été pourtant indispensable pour rattraper les retards de productivité, rompre avec l’intoxication financière et répondre aux besoins populaires, mais de continuer de les détruire pour « rester dans les clous de Maastricht ».

L’Europe se trouve ainsi à la croisée de tout ce qui concourt, aujourd’hui, à la destruction des services publics et du bien commun par le capital financier et, en même temps, à la nécessite vitale et aux exigences populaires de les sauvegarder et de les promouvoir.

Berceau de la civilisation capitaliste en crise si profonde, elle pourrait, parce qu’elle en souffre singulièrement, chercher à dépasser les antagonismes qui, plus que tout autre en Occident, la minent, comme en témoigne l’ampleur durable du chômage.

Et comme, par sa rive méditerranéenne, elle est désormais engagée avec l’Orient, si désemparé aussi, dans une irréversible mixité de populations et de cultures dont elle doit apprendre à maîtriser les conflits, elle pourrait être amenée à affronter, plus qu’ailleurs, les enjeux pratiques immédiats d’avancées nécessaires vers une nouvelle civilisation qui soit enfin celle de toute l’humanité.

Plus que jamais, les européens ont besoin de défendre et de promouvoir leur « modèle social » et la richesse de leur diversité culturelle en relançant audacieusement tous les services publics et en faisant émerger un type d’entreprises qui aient pour finalité la sécurisation de l’emploi et de la formation de chacun-e, la promotion de tous les territoires, le progrès du niveau culturel de toutes les populations, leur protection et celle de leur environnement.

C’est dire si en Europe la question décisive d’une autre utilisation de l’argent des profits, des fonds publics et du crédit va se poser avec une force singulière. Elle amènera à affronter l’enjeu crucial d’une tout autre utilisation de l’euro et des pouvoirs considérables de la BCE au sommet du système européen des banques centrales nationales.

Au sein de l’Europe, la France est, peut-être plus encore que ses partenaires européens, à la croisée de ces chemins. Ses prétendues élites sont fascinées par la finance, elles ont une préférence pour les profits faciles et baignent dans le culte d’un individualisme forcené et du modèle « anglo-saxon ».

Mais l’immense majorité des salariés et de leurs familles demeure, en France, très attachée à une conception des services publics, certes encore empreinte d’étatisme et trop hexagonale, mais beaucoup plus radicale qu’ailleurs, en écho à leur grande Révolution. De plus, les conquêtes de la Libération, bien que très attaquées, ont laissé le souvenir profond que les services publics marchands (Trains, électricité, poste…) doivent être adossés à des entreprises publiques qui, à côté de leurs missions traditionnelles de service public, devaient aussi soutenir l’emploi, la croissance, la recherche et la formation, l’aménagement du territoire. Pour ce qui concerne les services publics non marchands, l’hôpital et la « Sécu », la petite enfance, l’école, l’indemnisation du chômage et le retour à l’emploi avec la formation, ou les services publics locaux en particulier, ils souffrent de se voir privés de moyens et perdre en efficience.

Ils demeurent aussi marqués par les principes, conquis depuis la Libération, d’une protection sociale financée de façon mutualisée à partir de la valeur ajoutée créée dans les entreprises, même si l’étatisation rampante avec la CSG et les déremboursements multiples ont porté des coups d’ampleur.

Bien sûr, des reculs ont été imposés et Macron accélère dans ce sens, mais l’attachement persiste et les besoins vitaux poussent. Cela se traduit par des luttes qui, plus qu’ailleurs, pourraient commencer à converger vers la recherche d’une tout autre finalité des entreprises et de leurs rapports aux banques, une évolution radicale des rapports entre public et privé dans une mixité conflictuelle d’appropriation sociale progressive.

La monnaie, la finance et les services informationnels au cœur du défi de Trump

Il devient extrêmement urgent de commencer à changer le cap de la construction européenne avec l’ambition de la refonder. Nombre d’indicateurs alertent désormais sur le ralentissement, à nouveau, de la croissance de ce côté-ci de l’Atlantique3.

Par contre, le coup de fouet donné à l’activité économique et financière outre-Atlantique par la très agressive réforme fiscale de Trump y fait bondir les profits, attire les capitaux du monde entier et continue de pousser Wall-Street vers des sommets vertigineux, grâce aux fusions et acquisitions géantes et aux rachats massifs de leurs propres actions par les groupes. Elle fait monter le dollar, malgré les énormes déficits et dettes publics et extérieurs des États-Unis qui ne cessent de croître.

Mais cela pourrait finir par déboucher sur une surchauffe, alors que les salaires commencent à sortir du gel dans lequel ils ont été maintenus depuis 2009. N’est-ce pas ce que commence à exprimer la remontée, certes encore prudente mais effective, des taux d’intérêt ? L’actuelle reprise conjoncturelle aux États-Unis qui figure déjà, avec 107 mois d’affilés, au deuxième rang en termes de durée depuis 1854, se retournerait alors.

Ce retournement s’avérerait fracassant tant, depuis 2008, la sur-accumulation de capitaux matériels et financiers a augmenté4. Dans ces circonstances, le dollar pourrait sévèrement dévisser, perdant la confiance, notamment des pays émergents, Chine en tête, et de l’Europe, si tant est qu’elle ose défier la tutelle américaine.

Les risques d’une nouvelle crise financière mondiale se profilent, plus graves que celle de 2007-2008 avec, cette fois-ci, la Chine et les pays émergents qui pourraient y jouer un important rôle pro-cyclique. Cela pourrait alors déboucher sur une profonde dépression dans un contexte de luttes sociales et politiques très vives et de tentatives multiples pour les faire dériver vers des affrontements nationalistes, de « races », de civilisations. Le besoin de concertations et négociations mondiales nouvelles deviendrait impérieux.

Elles pourraient porter, en particulier, sur la mise en cause du dollar comme monnaie commune mondiale de fait, sur celui, grandissant, du Yuan (Renminbi) et sur celui des droits de tirage spéciaux du FMI (DTS). Quant à l’euro, ses fragilités systémiques pourraient ne pas résister à ces convulsions si des changements très profonds de son utilisation n’auront pu être engagés, avec une réorientation fondamentale du rôle de la BCE, marchant de pair avec une émancipation européenne de la domination du Billet vert et de l’Alliance atlantique.

Dans cette perspective, l’Europe aura besoin de se rapprocher des pays émergents en cherchant à construire avec eux une nouvelle alliance. Car, chez les uns comme chez les autres, va s’exacerber la nécessité de défendre et promouvoir des modèles sociaux et culturels originaux, différents du « modèle anglo-saxon ». Cela pousserait à son paroxysme le besoin de grands services publics de qualité assortis d’infrastructures et d’équipements efficaces, de nouveaux droits sociaux et libertés avec l’urbanisation géante galopante, les énormes problèmes sanitaires et écologiques, le sous-emploi massif, l’insuffisance de formation, les féminicides et violences faites aux femmes, le travail des enfants, la corruption tentaculaire, les gangs et le terrorisme… mais aussi l’émergence de couches moyennes salariées nombreuses et très exigeantes. On a vu, par exemple, les immenses manifestations au Brésil en 2015.

Cette grande concertation mondiale pourrait porter donc, comme en 1944 (Bretton Woods), sur une profonde réforme du système monétaire et financier international. Mais elle devrait inclure, cette fois-ci, dans son périmètre le rôle des banques ordinaires (pas seulement les banques centrales), leurs rapports à la production de richesses et à la sécurisation-promotion de l’emploi et de la formation, leurs ratios prudentiels et les critères du crédit, l’activité des fonds d’investissement et de pensions, sans parler des plateformes pour les crypto-monnaies. Mais devraient aussi être visées les multinationales aux trésoreries gigantesques, aux pratiques de prix de transfert et de localisation de la valeur ajoutée socialement et écologiquement irresponsables, aux pouvoirs monopolistiques sur les brevets et les technologies, aux réseaux informationnels mondiaux si puissants et dont la socialisation pourrait fournir les bases pour un nouveau monde.

Une nouvelle grande conférence monétaire et financière mondiale devrait servir à fournir les bases pour que des financements nouveaux massifs soient mobilisés à développer les biens communs publics, une mise en réseau de tous les services publics pour leur expansion mondiale commune, le lancement d’un nouveau type de plan Marshall non dominateur pour l’Afrique avec des dons de monnaie en DTS, mais aussi en monnaies constituant son panier.

Affrontement USA/Chine : que fait l’Europe ?

La question du pétrole et des matières premières, y compris alimentaires, dont les transactions se font en dollars, viendraient aussi sur le devant de la scène poussée par les préoccupations écologiques, les besoins hurlants de développement des pays producteurs et l’aspiration à de nouveaux standards de consommation et de vie. Pourrait alors se poser avec force la nécessité d’arracher ces ressources naturelles et leur transformation à la domination du dollar et des multinationales, américaines notamment, aux prélèvements rentiers des dirigeants des pays concernés, pour pouvoir, enfin, les traiter comme des biens communs de l’humanité.

La question d’une monnaie commune mondiale de coopération alternative au dollar pourrait donc venir à l’ordre du jour. Du reste, le gouverneur de la Banque centrale de Chine (BPC), Zhou Xiaochuan, a dit en 2009 qu’il fallait en faire une monnaie internationale de réserve, comme en avait émis l’hypothèse Paul Boccara dès le début des années 1980. Et, d’ailleurs, le panier du DTS a dû être élargi au yuan5 le 30 novembre 2015, malgré les réticences américaines, tandis que les Russes eux-mêmes demandent à ce que le rouble y soit intégré.

L’enjeu de traiter les monnaies nationales et régionales comme des biens communs publics de l’humanité pourrait beaucoup progresser avec le double besoin vital d’une maîtrise publique et sociale du crédit, de la création monétaire et d’une émancipation de la domination des marchés financiers, Wall-Street en particulier et ses places relais (la City, Tokyo, Singapour, Hong-Kong, les paradis fiscaux…).

N’y a-t-il pas dans tous ces possibles une clef pour comprendre l’agressivité et l’imprévisibilité des décisions de D. Trump qui met violemment en cause le multilatéralisme dans les négociations internationales, alors même que le monde tend à devenir de plus en plus multipolaire ? Le fiasco qu’il a imposé au dernier sommet du G-7, les 8 et 9 juin à Charlevoix (Canada), en est un exemple particulièrement parlant.

Il veut imposer à chacun des partenaires commerciaux des États-Unis son « America first ! » pour reconquérir une prééminence du site américain de production sur tout le spectre des productions mondiales, tout en faisant avaler leur énorme surproduction par le reste du monde.

Car, d’ores et déjà se profile un affrontement féroce pour déterminer ce que seront les rapports de force, une fois le monde entier au bord du gouffre et contraint, alors, d’organiser de grandes négociations, à moins de sombrer dans une guerre, cependant improbable car elle signerait la fin de l’humanité.

C’est le bras de fer entre les États-Unis et la Chine qui guide le jeu ; d’où la proposition paradoxale de Trump d’intégrer la Russie au G-7, peut-être pour tenter de la couper de la Chine et mettre les Européens sur la défensive. Cela s’est passé, en effet, au moment même où, parallèlement au sommet canadien du G-7, se tenait un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) 6 à Qingdao (Chine), auquel était invité, à titre d’observateur, l’Iran en la personne de son propre président Hassan Rohani démonisé par Trump ! Ce sommet a vu se resserrer fortement les liens entre la Chine et la Russie.

Aussi, face à la montée de puissantes forces tendant à mettre en cause l’hégémonisme des États-Unis, tout se passe comme si l’Administration Trump cherchait à procéder à des frappes préventives. Elle mobilise tous ses arguments de domination en tablant sur sa double suprématie militaire et monétaire, mais aussi sur l’avance numérique des États-Unis avec le poids colossal pris par leurs oligopoles informationnels mondiaux (le « GAFAM » 7).

Défendre et promouvoir le « modèle social » européen…

L’Europe pourrait en souffrir beaucoup si elle continue de rester vassale de l’Oncle Sam et ne se décide pas à rompre avec l’intoxication militaro-financière que Macron propose, au contraire, de propulser dans un bond en avant fédéraliste.

N’est-ce pas déjà ce que l’on perçoit avec la hausse des prix du pétrole et des matières premières, désormais de conserve, et c’est nouveau, avec la hausse du cours du dollar américain sa monnaie de compte et de transaction ? Elle est encouragée par la tentative d’étouffement par Washington de l’Iran, mais aussi du Venezuela, tous deux gros producteurs. Elle tend à alourdir significativement la facture énergétique des pays européens avec à la clef une hausse plus sensible de l’inflation des prix à la consommation dans l’UE, malgré les facteurs de déflation toujours à l’œuvre.

C’est dans ces conditions que la BCE (très en retard sur la FED) s’apprête à mettre fin à sa politique monétaire non conventionnelle d’assouplissement quantitatif, dont a tant profité le marché financier, et que ses taux d’intérêt risquent de remonter. Cela enrayerait précocement la reprise en cours dans l’UE et mettrait à nouveau le feu aux stocks de dettes publiques. Mais les dettes privées ne seront pas épargnées, particulièrement en France où elles ont continué sensiblement d’augmenter depuis 2008. L’Hexagone, au sein de la zone euro, serait en position particulièrement vulnérable.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, la guerre commerciale décrétée par Trump, avec l’application de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium importés du Vieux Continent et la menace de le faire aussi pour les automobiles, pourrait accentuer l’insuffisance de la demande susceptible d’absorber les productions d’Europe accrues avec la reprise, y compris du fait d’un report possible vers elle d’exportations des pays émergents refoulées par le protectionnisme américain. Le front européen de circonstances présenté au sommet du G7 pourrait alors se fissurer.

Face à ces menaces, l’Europe dont les dirigeants n’ont tiré aucune leçon de la crise de 2007-2008 et de ses suites, se présente donc en situation de grande fragilité.

La zone euro est profondément malade de l’insuffisance de sa demande interne, notamment pour les services publics. Et la crise d’efficience de ces derniers tend à compromettre lourdement l’efficacité de l’offre productive, particulièrement en Europe du Sud. Les investissements qui auront été fait au cours de la reprise actuelle, visant à réduire l’emploi pour la rentabilité financière, se conjugueront avec les nouveaux investissements qu’il est question de relancer au niveau européen pour accroître, en réalité, la suraccumulation de capitaux de ce côté-ci de l’Atlantique et, donc, la violence de son éclatement à venir.

Ne cesse de progresser, en effet, la productivité du travail avec le renouvellement rapide des technologies informationnelles. Si la demande ne progresse pas suffisamment pour absorber les surcroîts de production ainsi engendrés, cela fait du chômage qui augmente la pression sur les revenus salariaux et, donc… sur la demande. Cela ne fait qu’accentuer la guerre concurrentielle sur des débouchés insuffisants avec une pression à la baisse des prix, tandis que l’argent se précipite vers les marché financiers.

En effet, le surplus grandissant généré par les économies de travail de la révolution informationnelle alimente la spéculation 24 heures sur 24 sur tous les marchés du monde, alors qu’il pourrait servir de base pour une relance des services publics et des protections sociales.

…avec une grande expansion des services publics en Europe

L’expansion des services publics, notamment la formation, ferait croître la demande globale, les débouchés, sans en rajouter aux excédents de capacités de production matérielle. Simultanément, cela aiderait à consolider l’efficacité évolutive de l’offre productive avec des travailleurs qui, sécurisés et promus dans leurs parcours de vie, bien soignés, logés, formés, transportés, ayant largement accès aux activités culturelles, seraient alors autrement plus productifs, créatifs et entreprenant au travail jusqu’à en métamorphoser son contenu, disponibles hors travail pour une autre vie.

Mais, obsédés par la promotion et l’attraction des capitaux financiers, les dirigeants européens contribuent désormais au développement de tensions d’une gravité politique et symbolique nouvelle : le martyre sans fin imposé aux Grecs, le Brexit, les antagonismes infranationaux comme entre la Catalogne et Madrid, le progrès des forces populistes et chauvines d’extrême droite « surfant » sur les difficultés engendrées par la crise migratoire, les promesses non tenues et le terrorisme, sans parler de l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition démagogique entre nationalistes d’extrême droite et populistes écrémant à gauche… Un changement radical de cap devient urgent !

Dans leur grande majorité, les Européens veulent une construction européenne qui puisse les protéger des assauts de la mondialisation financière, tout en leur permettant d’avoir une prise effective pour changer le cours et le contenu de cette mondialisation. Mais ils rejettent de plus en plus le modèle d’Europe qu’on cherche à leur imposer depuis l’Acte unique européen. Ils voient combien, au nom d’une telle Europe, les dirigeants s’attachent, tour à tour, à détruire leur « modèle social » dont la sécurité d’emploi et de formation et les services publics de qualité constituent les deux grands piliers. On mesure ainsi la portée des luttes engagées par les cheminots en France et de la solidarité qui s’est construite autour d’elles.

L’Europe, avec l’enjeu si considérable de l’avenir des services publics et sociaux, se trouve donc au cœur des solutions qui vont se chercher pour maîtriser et changer la mondialisation. Le défi lancé par Trump place les Européens devant la nécessité absolue de coopérer plus étroitement pour utiliser leur argent, l’euro, à défendre et promouvoir leur modèle social, leurs aspirations écologiques et les meilleurs valeurs humanistes que nombre d’entre eux partagent, dont le désir de paix et l’accueil des réfugiés. Face au dominateur commun, Washington et Wall-Street, ils ont, pour ces raisons mêmes, intérêt à se rapprocher des pays émergents où se pose aussi l’exigence de défendre et promouvoir des modèles sociaux audacieux qui leur soient propres et de répondre au besoin frénétique pour leurs « multitudes » de services publics très développés. zzz

 

 1. Article 123 du TFUE (Traité de fonctionnement de l’UE) issu du traité de Lisbonne.

2. Entre le programme de rachat d'actifs publics et privés, et les opérations de refinancement de long terme, ce sont plus de 4.000 milliards d'euros qui ont été injectés en zone euro depuis 2011.

3. La croissance économique dans la zone euro a fortement ralenti au premier trimestre 2018, s'établissant à +0,4 %, contre +0,7 % au quatrième trimestre 2017, bien en deçà des hausses de 0,7 % observées au cours des trois trimestres précédents. La confiance se serait en partie dégradée en raison des inquiétudes liées à la menace d'une guerre commerciale avec les États-Unis, fortement confirmée à l’occasion du dernier sommet du G-7au Canada.

4. De 2009 à 2017  le PIB des États-Unis aurait crû, en valeur, de 3,35 % par an en moyenne. Mais l’indice Standard & Poor’s de la bourse de Wall-Street, qui était à un point bas de 679,5 le 27/02/2009, atteignait les 2797 le 01/06/2018 (+311%).

5. Jusque-là, le panier du DTS était composé du dollar, de l’euro, de la Livre britannique et du yen.

6. L’ OCS est une plateforme interétatique, initialement conçue pour traiter des enjeux de sécurité et de terrorisme, réunissant, outre la Chine, la  Russie, l’Inde,  le Kazakhstan, le Pakistan, le Kirghizstan,  le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.   Il est clair que la Chine et la Russie ont décidé d’élargir le champ des compétences de cette structure de coopération. Xi Jinping a ainsi abordé les récentes mesures commerciales prises par Washington en appelant à «rejeter les politiques égoïstes, à courte vue, étroites et fermées. [...] Nous devons maintenir les règles de l'Organisation mondiale du commerce, soutenir le système commercial multilatéral et construire une économie mondiale ouverte», il faut «rejeter la mentalité de guerre froide et de confrontation entre les blocs»

7. Le GAFAM est constitué du quatuor GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) auquel on ajoute le M de Microsoft.

 

 

Réforme de la fiscalité locale : un avis du Conseil économique, social et environnemental discutable

Par Paker Alain , le 31 May 2018

Réforme de la fiscalité locale :  un avis du Conseil économique, social et environnemental discutable

Le 17 avril dernier, le CESE a rendu, sous la signature de Didier Gardinal (ancien pésident de la CCI de la Région Midi Pyrénées) et de Jean Karl Deschamps (ex élu PS de la Manche et responsable de la Ligue de l’Enseignement et de Jeunesse au Plein Air), un avis pour une réforme globale de notre fiscalité locale. Selon un principe déjà éprouvé, cet avis obéit au schéma «  comparaison internationale/état des lieux/perspectives et propositions », permettant ainsi de resservir l’argument éculé du « pourquoi ne faisons-nous pas comme les autres ? ».

Comparaison internationale

Du point de vue du rapport, la France présente une double caractéristique : celle d’avoir une fiscalité locale propre relativement spécifique et celle d’être un pays moyennement décentralisé.

Notons cependant que cette considération provient de l’analyse des budgets régionaux, proches d’un point et demi de PIB en France et aux alentours des 15 ou 20 % dans les états à structure fédérale comme l’Allemagne, l’Espagne, le royaume fédéral de Belgique, la Confédération helvétique ou encore le Dominion du Canada.

Mais ces ressources sont souvent fondées sur le partage d’impositions nationales (la TVA par exemple) ou le vote d’un complément local de telles impositions (l’IR en Allemagne par exemple).

Ce qui n’empêche que le champ de la décision fiscale des assemblées élues, comme chacun le sait, s’est réduit en valeur relative, avec la réforme de la taxe professionnelle qui a réduit à la seule cotisation foncière des entreprises la recette fiscale fixée par décision locale.

Et que la taxe d’habitation, au fil des années à venir, va se trouver transformée en dotation.

De fait, l’évolution des choses risque fort de réduire plus encore la part des impôts fixés par les collectivités locales.

C’est-à-dire le taux de la CFE pour les structures intercommunales, les droits de mutation ou la TICPE encadrés pour la part départementale ou régionale concernée, etc, etc.

Toujours est-il que le rapport n’exclut pas qu’une partie de la réforme de la fiscalité locale passe par un nouveau partage de recettes fiscales, comme nous le voyons avec la TVA en Espagne.

Où ce partage produit, depuis la mise en œuvre de l’autonomie régionale, quelques tensions entre pouvoir central et pouvoirs régionaux (cf. Catalogne).

État des lieux

Pour changer de lexique, le rapport parle d’un véritable « mille feuilles » en matière de fiscalité locale.

Cela, puisqu’au-delà des fameuses « quatre vieilles », existent aussi d’autres recettes fiscales (droits de mutation, parts de TICPE).

Le montant est de 133 Mds d’euros et recoupe 81 Mds d’euros de contributions directes (22 Mds pour la TH, 32 Mds pour le foncier bâti, 1 Md pour le foncier non bâti et 27 Mds pour la CET dont 7 Mds pour la contribution foncière des entreprises et 17 Mds pour la CVAE) et 52 Mds de contributions indirectes.

Il y a dans cet ensemble 7 Mds d’euros de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (dont on se rappellera qu’elle est, en dernière instance, payée par les locataires et les propriétaires occupants de leur logement), 11 Mds d’euros au titre des droits de mutation, dont l’essentiel participe des budgets départementaux, 12 Mds de TICPE, 4 Mds de versement transport (le chiffre est d’ailleurs inexact), 7 Mds de TSCA (reversés aux départements au titre de la compensation des charges transférées).

Là-dessus, il y a des mesures d’allégement et de compensation et des dispositifs de péréquation.

Comme tout cela se passe dans un système tout de même assez fermé, tout cela n’est guère efficace.

Cela tient, selon le rapport, à l’absence de critères de définition unifiés de péréquation et de mesures de l’efficacité de cette péréquation.

Pour ma part, je pense que la réduction globale du rendement des impôts (notamment avec la réforme de la TP) et l’absence d’un outil de péréquation pertinent sont à la base de nos difficultés.

Mais venons-en aux préconisations du rapport du CESE (que n’a pas voté notre camarade Frédéric Boccara, au titre des personnalités qualifiées).

Perspectives

Le rapport du CESE s’appuie sur les réformes « institutionnelles » de la carte administrative du pays et notamment les lois NOTRe et MAPTAM pour justifier de préconiser qu’on favorise deux échelons locaux parmi d’autres.

à la surprise générale, ces deux échelons sont le cadre intercommunal, censé être pertinent notamment du point de vue du développement économique et le cadre régional, adapté à certaines décisions stratégiques.

Ce qui est attendu du renforcement de l’échelon intercommunal est de permettre, par le biais des économies d’échelle, de maîtriser la pression fiscale… (ben voyons).

Mais l’un des effets les plus certains est d’ériger les EPCI en collectivités locales à part entière…

Passons aux préconisations.

Si la première préconisation est de vouloir simplifier les impositions locales et la deuxième de lier la réforme des finances locales avec celles de l’État, la troisième pose un premier et sérieux problème.

à savoir que le rapport propose, dans certains cas, de partager des impôts d’État en sus des recettes fiscales locales.

Ainsi, la compétence « transition énergétique » des EPCI et la compétence « environnement » des Régions pourraient justifier le partage entre l’État et lesdites collectivités de la contribution climat énergie, autrement dit de la taxe carbone.

De même, la compétence sociale des départements pourrait conduire à leur attribuer une part de la CSG.

Et les compétences économiques des Régions justifieraient de leur accorder une part de la TVA supplémentaire, comme cela est déjà le cas…

Seul point positif, là-dedans, et cœur de la quatrième préconisation, le renforcement de la péréquation verticale (par partage d’impôts d’État) au détriment de la péréquation dite horizontale qui a tout de même montré ses limites.

Puisque la péréquation version manteau de Saint Martin, cela ne va tout même pas très loin au regard des objectifs affichés.

La Préconisation 5, qui envisage de renforcer le rôle de la conférence nationale des territoires dans le domaine des relations entre l’état et les collectivités locales, n’est pas du plus bel effet et la 6, sur le dialogue entre élus et habitants, procède de la clause de style.

En guise de conclusion provisoire

Une bonne partie des problèmes posés était bien évidemment identifiée mais c’est la manière de les résoudre qui pose question.

Ne serait-ce que parce que la question récurrente de la pertinence absolue de certaines des compétences locales est toujours posée (c’est d’ailleurs pour cela qu’elle est récurrente).

Singulièrement dans le domaine social, au centre du rôle des départements, alors même que l’autonomie des personnes âgées devrait procéder de la solidarité nationale à travers la caisse d’assurance maladie et peut-être, un peu, de l’assurance vieillesse.

Et que la perception de cotisations sociales serait sans doute plus juste que toute progression de la CSG, surtout pour parvenir à un salariat de travailleurs précaires et/ou sous payés comme nous le voyons aujourd’hui.

Mais la clé est sans doute dans le fait que nous manquons d’un outil de péréquation réel (la taxation des actifs financiers pourrait y pourvoir) et que la révision des valeurs cadastrales n’a toujours pas été mise en œuvre.

Notons aussi que le rapport ne fait pas le bilan des sommes considérables que l’État a consacré, depuis 1986, à réduire les impositions locales des entreprises (allégement transitoire des bases, suppression de la part taxable des salaires, plafonnement à la valeur ajoutée, entre autres).

Enfin, la véritable casse de la DGF qui a été menée depuis le quinquennat Sarkozy a privé la dotation la plus péréquatrice d’une bonne partie de ses capacités. 

 

 

Fonction publique, service public (Les dossiers d'Economie et Politique)

le 31 May 2018

 Le service public, la fonction publique sont une des cibles privilégiées du capital à la recherche de moyens de lutter contre sa crise d'efficacité. Récupérer la dépense publique et sociale utile à tous pour restaurer les taux de profit est devenu un impératif pour lui. C'est le sens des grandes régressions libérales de ces 40 dernières années visant, à la fois, le service public, le statut et le nombre des fonctionnaires ainsi que la dépense publique et sociale, et travaillant à marchandiser, à privatiser, à ouvrir à la concurrence et à renforcer l'emprise de la rentabilité sur les gestions publiques.

Pourtant, ces régressions sont un contresens historique majeur. D'une part, elles vont à l'encontre des tendances lourdes de l'histoire de l'hominisation, qui a toujours privilégié la socialisation des hommes à leur individualisation et renforcé dans les sociétés les moyens de leur coopération, de leur interdépendance et de leur solidarité. Ces régressions ne peuvent donc constituer un moyen pérenne de sortie de crise. D'autre part, elles s'opposent à l'émergence des conditions d'une sortie de crise du capitalisme dont la radicalité appelle précisément au développement des services publics. Alors que les besoins sociaux répondant aux exigences technologiques, écologiques, démographiques, sociologiques, migratoires... appellent à des dépenses publiques et sociales massives et nouvelles, en confortant la pression sur la dépense publique et sur les fonctionnaires qui peuvent la mettre en œuvre, les libéraux et le capital refusent de voir dans cette dépense de services publics le moyen de contribuer à la dévalorisation du capital pour restaurer son efficacité et aux débouchés des productions.

Les luttes politiques et syndicales pour les services publics et pour la fonction publique constituent donc un enjeu de civilisation autant qu'un impératif de sortie de crise.

Sommaire

Pour des avancées fondamentales sur les services publics et communs depuis le plan local et régional

par Paul Boccara

- Fonction publique,  l’histoire d’une longue marche par Anicet Le Pors

- En finir avec l'auto-destruction par Yves Dimicoli

Réforme de la SNCF : développement ou démantèlement ? par Didier Le Reste

- La résistible régression de la mission publique de contrôle fiscal par Jean-Marc Durand

Enjeux d´un service public moderne de l'éducation  face aux opérations de casse  en cours par Benoît Teste

Sécurité d’emploi ou de formation et hôpital, liens et articulations, quelques pistes possibles de travail par Frédéric Rauch

Une autre utilisation de l’argent  pour les services publics par Denis Durand 

Nouveaux critères  d’efficacité sociale et services publics par Paul Boccara

 

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Syndicaliste et communiste

le 31 May 2018

Syndicaliste et communiste

En 22 ans d’expérience militante, dans des structures associatives, le syndicalisme étudiant ou salarié, la JC, dans une cellule ou un collectif du PCF, j’ai toujours constaté qu’une volonté ferme pouvait changer la situation même la plus difficile. Et si plusieurs volontés fermes s’associent, elles sont capables de progrès rapides et importants.

Aujourd’hui, le fatalisme triomphe partout, même parmi les salariés. Les luttes sont insuffisantes, ne convergent pas et peinent à être victorieuses. Le mécontentement est généralisé mais les capitalistes sont parvenus à si bien diviser, isoler, et déprimer les citoyens, que ces derniers abandonnent même les espaces d’expression dont ils disposent encore. L’abstention progresse, l’engagement recule, et la frustration liée à cette situation conduit aux populismes.

Comment ne pas faire le parallèle avec le fait que le Parti Communiste a baissé les bras ?

Partout il conserve des forces importantes et des militants de valeur, les communistes conservent de l’influence ou de la sympathie dans les milieux populaires.

Pourtant le Parti communiste ne cesse de s’affaiblir et chacun de ses choix semble démontrer qu’il n’a plus confiance en lui-même, qu’il ne sait plus quel sens donner à son existence. La faiblesse nourrit l’inaction, qui nourrit à son tour la faiblesse.

Il faut sortir de ce cercle vicieux.

Nous avons besoin d’un Parti communiste fort. Pas par sentimentalisme, pas par reconnaissance historique, ou par nostalgie. Mais pour le rôle que ce parti doit jouer, quil doit à nouveau assumer.

Les communistes, grâce à la science des idées, donnent à voir et à comprendre l’injustice du système capitaliste et les alternatives possibles. Grâce à la science de l’organisation, ils permettent l’action collective pour peser sur la réalité.

Le Parti communiste est l’outil qui fait reculer le fatalisme de ceux qui sont exploités et privés de pouvoir. Il est l’outil qui aide à forger les volontés fermes.

Aujourd’hui il est donc, plus que par le passé, le remède dont la société a besoin.

Mais encore faut-il qu’il décide de l’assumer à nouveau.

Récemment, le mouvement des cheminots a souvent été cité en exemple. Il n’est pas venu par hasard. Il est le résultat d’efforts militants amplifiés par une structuration efficace, d’une bataille idéologique intense sur la réforme ferroviaire et les autres choix possibles, d’une stratégie pensée à partir du fatalisme ambiant pour le dépasser.

Je suis communiste et c’est mon rôle de pousser dans ce sens.

Je suis syndicaliste et j’aimerais que mon parti m’aide à réfléchir à ces arguments, ces stratégies, ces tactiques, ces modes d’organisation qui permettent de mieux lutter. S’il le faisait, cela contribuerait à ce que les luttes soient plus fortes et plus nombreuses.

« Marcher sur ses deux jambes » nest pas quune affaire de cartes.

La « convergence » ne se décrète pas, elle se construit. Le Parti communiste soutient les luttes. C’est bien mais pas suffisant. En se cantonnant à cela, il se comporte en « syndicat bis ». Son rôle c’est de donner à voir ce qui fait système dans tous les sujets qu’affrontent les salariés. Nous sommes rivés à la lutte contre une réforme, un plan social, ou nos revendications salariales, chacun dans son entreprise, Or ces réformes, ces plans sociaux, la pression contre le « coût du travail », tout est imbriqué. Quand le gouvernement propose que les lycéens construisent leur savoir selon des « blocs de compétences » et non plus des savoirs généraux, et que dans le même temps le patronat ne veut plus reconnaître les métiers dans les conventions collectives mais plutôt des « blocs de tâches », il y a là une convergence qui vise au final à faire baisser le salaire. Le rôle du Parti est de montrer ces liens, de construire des campagnes qui fassent progresser cette conscience et qui permettent d’aller au-delà de l’action syndicale.

J’ai choisi comme base commune « un Manifeste du Parti communiste du 21e siècle » parce qu’il répond mieux à mes interrogations et à mes attentes.

La démarche de construction du texte est elle-même porteuse d’espoirs : des communistes qui n’ont pas exactement les mêmes points de vue sur tout ont dépassés leurs divergences pour faire à nouveau parti, tenter de se doter d’orientations communes. Il est donc possible de ressouder notre organisation et d’en refaire une force qui compte. 

Emplois. Menace sur les CFA en zone rurale

le 30 May 2018

Emplois. Menace sur les CFA en zone rurale

Une rencontre autour de l’apprentissage et de la formation.

Dernièrement, Emmanuelle Gazel, vice-présidente de la région Occitanie Pyrénées Méditerranée en charge de l’emploi, de la formation professionnelle et de l’apprentissage a rencontré à la chambre de métiers et de l’artisanat Irfma à Rivesaltes l’ensemble des acteurs locaux des P.-O. de l’emploi et de la formation.

Cette rencontre, 6e étape sur le territoire régional, était là pour expliquer la mise en œuvre du plan de développement de l’apprentissage mis en place par la Région, échanger autour de l’emploi et la formation, mais aussi parler du projet de réforme de l’apprentissage présenté par le gouvernement qui, selon Emmanuelle Gazel, « met en danger les CFA (Centre de formation des apprentis) situés en zone rurale et creuse les inégalités sociales ». Si la menace de fermeture de « petits CFA » est avérée, le risque pour les entreprises locales « est de les voir privées d’une main-d’œuvre qualifiée ». Autre inquiétude encore, c’est de voir la disparition « de certains métiers rares ». Concrètement, le danger de la réforme serait « le transfert de l’apprentissage aux branches professionnelles ». Celles-ci pourraient ainsi décider des ouvertures des centres de formation d’apprentis (CFA), avec pour objectif « de mieux répondre aux besoins des patrons d’entreprise ». Depuis 2017, a expliqué encore la vice-présidente de la Région : « À destination des apprentis, employeurs et des CFA, la région Occitanie Pyrénées Méditerranée met en œuvre un ambitieux plan de développement de l’apprentissage avec des aides nouvelles et renforcées. Elle veut être force de proposition afin que les choix se fassent avec les Régions et les territoires ». Interrogé sur la question de la réforme, Robert Bassols président de la Chambre des métiers et de l’artisanat a expliqué : « Ce qu’on espère dans les centres de formation d’apprentis, c’est que la Région continue à être partie prenante dans le financement des CFA. On aimerait que la Région puisse fédérer ces formations dans le sens pour ne pas élargir les formations à tout va. Ne pas laisser n’importe qui faire n’importe quoi. Avec cette réforme, ce sont les élèves qui vont y perdre, mais aussi les entreprises avec un personnel peu qualifié. Les CFA permettent une qualification que ne permettent pas certains formateurs ».

Si tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que l’apprentissage « est filière d’excellence », c’est la réforme de l’apprentissage qui met les entreprises au cœur du dispositif de financement et de gestion qui divise.

Robert Jobe (L’Indépendant, le 30 mai 2018)

Internet. Plaintes pour pillage contre les géants du net

le 25 May 2018

Internet. Plaintes pour pillage contre les géants du net

Les militants de la Quadrature du net s’emparent du nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles pour ramener les GAFAM dans la légalité.

C’est aujourd’hui qu’entre en vigueur le nouveau « règlement général sur la protection des données » européen (RGPD). Il impose des obligations strictes aux entreprises qui collectent des informations personnelles d’Européens, où qu’elles soient établies. L’objectif est de protéger les citoyens d’une utilisation outrancière de toutes les informations qu’ils donnent via leur « like », leur mail, leur adresse IP, les vidéos regardées etc. Ces entreprises doivent désormais obtenir un consentement réel. A défaut, des sanctions sont possibles pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire mondial. Pour exemple, le chiffre d’affaire d’Alphabet, société mère de Google a dépassé les 100 milliards de dollars en 2017.

Sur le papier, c’est une réelle avancée que les militants de la Quadrature du net entendent bien faire concrétiser. Lundi prochain, ils déposent devant la CNIL -commission nationale informatique et liberté- des actions de groupe contre Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, bref, contre les GAFAM. « Ces plaintes visent à faire pression sur les autorités pour qu’elles soient rigoureuses, fermes et prononcent des sanctions élevées sans attendre des années » explique Arthur Messaud, responsable de ce dossier dans l’association.

« Ces entreprises regardent tout ce que l’on dit, écrit, publie… Mais surtout ce que l’on fait : les groupes que l’on suit, ce que l’on "like" etc. » vulgarise le jeune homme. Des informations qui peuvent sembler anodines mais qui récoltées à très grande échelle en direct sur les services proposés ou via des traceurs, des cookies, des login, des pixels invisibles ou des profils fantôme sur les téléphones, les sites fréquentés, les applications de jeux… sont ensuite moulinées par des algorithmes. Les informations qui en sont tirées permettent à Facebook ou Google d’affirmer à leurs annonceurs qu’ils vont placer leur publicités auprès des bonnes personnes et au bon moment et de vendre ces publicités aux prix qui leur assurent leur très confortables bénéfices (16 milliards pour facebook en 2017). « Est-ce que ces publicités ciblées marchent ? On ne se prononce pas là dessus. En revanche, ce qui est certain, c’est que cela pousse les gens dans une direction, que cela tord notre vision du monde » commente Arthur Messaud.

Tout ce qui se cache derrière un « like »

Une étude réalisée par l’université de Cambridge ayant vérifié qu’une simple analyse des « like » permettait de trouver la couleur de peau des personnes dans 95% des cas, leurs orientations politiques (85%), religieuses (82%), sexuelles (80%), s’ils fumaient (73%), buvaient (70%)… Facebook s’est également vanté d’avoir mené en 2012 une expérience auprès de 700.000 utilisateurs démontrant sa capacité à influencer leurs humeurs.

Ces collectes sans autorisation claire ont été déclarées « illicites depuis au moins 2013 par les CNIL européennes si bien que le consentement des personnes est aujourd’hui officiellement demandé. Mais il est la condition pour accéder aux services ou il faut désactiver des cases pré-cochées. Mais qui le sait ? Qui le fait ? » détaille Arthur Messaud avant de présenter les avancées du RGPD : « le consentement doit désormais être explicite et les cases pré-cochées sont interdites ».

Ces actions illégales ont pour seul but de placer de la publicité ce qui a pour effet de « distordre entièrement le débat public » dénonce encore le militant. Pourquoi ? Parce que YouTube, second site le plus visité au monde et qui appartient à Google, 70% des vidéos regardées font suite à des suggestions de la plate-forme. Or, celles-ci n’ont qu’un objectif : garder l’internaute afin de lui faire regarder un maximum de publicités. Et qu’est-ce qui fait rester ? Les contenus agressifs, diffamants ou complotistes.

Dernier élément à prendre en compte : l’impact que pourrait avoir les informations collectées par Facebook par exemple sur les tentatives de suicide, le diabète… si elles étaient confiées à des assurances de santé, à des banques etc. « Ce n’est pas possible en France mais çà l’est déjà aux États-Unis où des entreprises adaptent les prix de la mutuelle de leurs salariés en fonction de leur activité physique estimée sur la base de services numériques. Ce n’est cependant pas réalisé par des GAFAM qui se concentrent pour l’heure sur leur activité » apprécie Arthur Messaud. « Mais si Facebook se retrouvait ruiné par des amendes sanctionnant ses actions illégales, il pourrait être tenté de le faire ou il pourrait être racheté par des assurances… Et là, ce pourrait bien être le chaos » reconnaît-il. Un chaos où des tentatives de suicide pourraient renchérir le prix d’un prêt bancaire, ou du diabète pourrait faire monter le prix d’une assurance santé. Par exemple.

Angélique Schaller (La Marseillaise, le 25 mai 2018)

La start-up Nation de Macron

Servile avec les géants du net Emmanuel Macron ? Non, plutôt en phase totale avec la logique économique libérale et transnationale de ces multinationales qui sont aujourd’hui plus puissantes que les États, accumulant des profits colossaux sans s’acquitter de l’impôt -ou à moindre frais- ; bref sans participer aux financement des besoins collectifs. Sa proposition de vouloir « réguler » tout ça est de la poudre aux yeux.

En inaugurant vendredi à Paris le salon VivaTech consacré à la haute technologie, le locataire de l’Elysée a dit ce qu’il entend faire de la France et des Français que le monarque républicain ramasse en un mot exhumé de l’Ancien régime : « mon peuple » (sic).

Un projet de rupture

« Je veux faire de notre pays celui qui pense le monde que vous êtes en train de construire », a-t-il lancé à un parterre de patrons du secteur « high-tech ». Voilà qui a le mérite de la clarté pour ceux qui doutaient encore du projet de rupture de Macron: transformer le pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du programme du Conseil national de la Résistance en Nation de petits patrons. Dans la novlangue on appelle ça la Nation start-up.

La rupture (disruption en novlangue) c’est, par exemple, remercier Uber « d’offrir » une protection sociale privée à ses chauffeurs en Europe. « Une première étape » pour Macron qui veut créer « un nouveau modèle social pour que les entrepreneurs qui rejoignent les plate-formes internet aient accès aux hôpitaux, une retraite ». Ce nouveau modèle, il veut en confier la réalisation aux géants mondiaux des nouvelles technologies. Une protection sociale au rabais, voilà ce que prépare Macron et son gouvernement. Un projet qui vient parachever l’abaissement des droits des salariés décidé par ordonnances et la suppression des cotisations, remplacées par l’augmentation de la CSG.

Françoise Verna (La Marseillaise, le 25 mai 2018)

Le tapis rouge déroulé par Macron devant le gotha du net

Microsoft va recruter une centaine de spécialistes de l’Intelligence artificielle en France dans les domaines de la santé, l’environnement/énergie, les transports, les services financiers et l’agro-alimentaire. La Fondation Google n’a rien annoncé sur le contentieux fiscal du groupe avec l’État qui les réclame 1,15 milliard d’euros de redressement mais a dit donner 100 millions de dollars sur 5 ans pour des projets à but non lucratifs de formation aux métiers du numérique en Europe, Afrique et Moyen-Orient. Facebook a lui promis de financer 48 bourses et 8 thèses consacrées à l’IA dans 4 universités françaises, soit le double de celles annoncées en janvier 2018.

Si les critiques montent en Europe contre les géants d’internet sur le pillage de données, les fausses nouvelles, les comportements prédateurs ou l’évasion fiscale, Emmanuel Macron leur a déroulé le tapis rouge durant deux jours. Dans le cadre d’un déjeuner à huis clos avec le gratin de la high-tech mondiale (les GAFAM mais aussi IBM, Uber…) tout d’abord et pendant le salon international des start-up Vivatech qui a ouvert hier, attendant -une première !- plus de 80.000 personnes dont les prestigieux dirigeants de ce gratin. Pour ne pas paraître trop servile, Emmanuel Macron a cependant répété qu’il était déterminé à plaider à Bruxelles pour une taxation des géants du net à 3% du chiffre d’affaires. Pour l’heure, sans effet.

La Marseillaise, le 25 mai 2018

Tocqueville appliqué au despotisme doux du monde des affaires

le 18 May 2018

Tocqueville appliqué au despotisme doux du monde des affaires

Dans « De la démocratie en Amérique », publié en 1840, Alexis de Tocqueville faisait une critique acerbe des possibles dérives paternalistes de l’État. En lieu et place de la puissance publique c’est le monde des afaires qui, arrivé au pouvoir sous les traits d’un Trump aux États-Unis, et d’un Macron en France tente d’imposer ce despotisme doux que redoute l’auteur. Aristocrate libéral Tocqueville met sur le compte de « l’égalité » le risque de cette dérive. Et si c’était au contraire pour maintenir les inégalités qu’une « dictature démocratique » voyait le jour ? Le propos de l’auteur prend alors une actualité troublante. Extrait.

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans re- pos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. (…) C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. (…) Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

La Marseillaise, le 18 mai 2018

Les doux apôtres de la dictature (du marché) refont surface

le 18 May 2018

Les doux apôtres de la dictature (du marché) refont surface

Les apôtres de l’autoritarisme se dévoilent depuis l’arrivée de Macron au pouvoir. Du despostime doux à la dictature de la démocratie, tous les arguments sont bons dans le bras de fer qui oppose le pouvoir et le monde du travail.

Du « despotisme doux », revendiqué par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, à la « dictature démocratique » assumée par l’éditorialiste Jacques Julliard dans le dernier numéro de Marianne, les apôtres de l’autoritarisme se dévoilent sans trop de pudeur depuis l’arrivée de Macron à l’élysée. Les Français ne s’y trompent pas : ils sont 63% à penser que la démocratie « pourrait être vraiment remise en cause dans les années à venir », selon une étude Viavoice publiée en janvier dernier.

« Je n’ai jamais caché que, dans certaines situations de crise ou de marasme prolongé, la concentration du pouvoir entre les mains d’un homme dûment désigné et contrôlé par les instances régulières me semble le meilleur moyen de sauvegarder la démocratie », expose sans sourciller Julliard. Mais quelle est cette menace si redoutable qu’elle nécessite qu’on lui oppose sans délai l’arbitraire ? S’ils n’y font pas explicitement référence, ce sont bien les mouvements sociaux qui sont dans le viseur. Les idéologues libéraux, parvenus à la limite de leur patience, appellent donc désormais de leurs vœux une « dictature démocratique ».

C’est que le monde des affaires est arrivé au pouvoir dans les valises de Macron et qu’il n’entend guère repousser l’agenda. Cette « brutalité souriante » c’est le nouveau président lui-même qui l’incarne lorsqu’il parle, en septembre dernier, « des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », ou quand il stigmatise « les illettrés »« les fainéants… ». Ou encore lorsqu’il s’attaque aux privés d’emplois leur disant : « Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre d’abord ».

Quand les intérêts financiers veulent le pouvoir politique

Avant de tomber dans la marmite macroniste François Bayrou livrait une analyse sans fard des prétentions de cette gouvernance affairiste que nous vivons aujourd’hui : « Il y a là une tentative qui a déjà été faite plusieurs fois par plusieurs grands intérêts financiers, qui ne se contentent pas d’avoir le pouvoir économique, mais qui veulent avoir le pouvoir politique […] On a déjà essayé en 2007 avec Nicolas Sarkozy, et ça n’a pas très bien marché. On a essayé en 2012 avec Dominique Strauss-Kahn… Et ce sont les mêmes forces qui veulent réussir avec Macron ce qu’elles ont raté avec Strauss-Kahn » , expliquait le Béarnais dans Valeurs Actuelles en août 2016, avant de conclure : « Il y a la séparation de l’Église et de l’État. Moi je suis pour la séparation de l’État et de l’argent ».

Plutôt Hitler que le Front populaire

Et c’est ici que le bât blesse : la victoire électorale de Macron ne vaut pas victoire totale sur le peuple puisque la contestation demeure. Cet écart, devenu insupportable pour le pouvoir, justifie désormais la tentation autoritaire chez les scribes libéraux.

Et les rares fois où la démocratie a droit de cité dans les entreprises ses résultats démentent de façon plus cinglante encore les prétentions des gouvernants. A Air-France le projet proposé par la direction a été rejeté à près de 56% par 80% des 46.000 salariés du groupe. A la SNCF les cheminots ont décidé de prendre les devants et de consulter eux-aussi les salariés sur la réforme du rail proposée par le gouvernement. Il y a de fortes chances que ce référendum trouve la même issue que celui réalisé chez leurs voisins du transport aérien. De quoi doucher les espoirs d’un Macron qui pariait sur la mise à l’écart des syndicats et la consultation directes des salariés pour réussir ses manœuvres.

A l’évidence les « grands intérêts financiers » dénoncés par François Bayrou n’entendent pourtant pas céder sous la pression démocratique. « Plutôt Hitler que le Front populaire », revendiquait en 1938 une droite terrorisée à l’idée que le mouvement ouvrier puisse imposer ses vues au patronat.

Le despotisme doux

Aujourd’hui un appel aussi transparent aux tyrans pour protéger les intérêts d’une minorité n’aurait pas bonne presse. Raison pour laquelle c’est discrètement que le joug doit être passé. « C’est ce que les Romains appelaient dictature, en un sens qui n’a rien à voir avec le sens moderne qui implique arbitraire et violence », ose Jacques Julliard pour minorer le propos. Et le « despotisme doux » cher à Gérard Collomb est de la même veine. « Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance », explique Tocqueville à qui l’on doit la formule dans son fameux ouvrage, De la Démocratie en Amérique.

Pour le libéral Tocqueville c’est l’égalité qui devait mener à cette gouvernance douce et oppressive. Dans les fait c’est pour maintenir, voire creuser les inégalités, que le pouvoir et ses courtisans le plébiscitent aujourd’hui.

Aussi une élite financière composée de prétendus promoteurs de la liberté et de la démocratie livrent-ils un nouveau message au peuple que l’on pourrait traduire ainsi : votre liberté s’arrête où nos intérêts commencent. Et gare à qui voudrait franchir la frontière.

Frédéric Durand (La Marseillaise, le 18 mai 2018)

Le Pape et la « dictature mondiale de l’argent »

Le Pape François critique régulièrement « l’impérialisme de l’argent » qui « met en place une dictature économique mondiale », comme le rapportait La Croix en novembre 2016. Cette dictature infantilise car elle « gouverne avec le fouet de la  peur, de l’inégalité, de la violence économique, de la violence sociale, culturelle et militaire qui engendre de plus en plus de violence ». Le chef du Vatican soulignait qu’« aucune dictature ne peut se maintenir sans exploiter nos peurs ». En février 2017, il s’en prenait encore au capitalisme : « Quand le capitalisme fait de la recherche du profit son unique but, il risque de devenir une structure idolâtrique, une forme de culte ». Et il ajoutait : « la manière la meilleure et la plus concrète de ne pas faire de l’argent une idole est de le partager ».

La Marseillaise, le 18 mai 2018

Top 5 des magouilles pour verser des milliards en temps de crise

le 15 May 2018

Top 5 des magouilles pour verser des milliards en temps de crise

Décryptage des cinq manoeuvres ayant permis aux entreprises du CAC 40 de verser des milliards d’euros aux actionnaires en pleine crise.

407 milliards d’euros : ce sont les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 entre 2009 et 2016. Dans un rapport publié hier l’ONG Oxfam détaille la répartition des bénéfices des grandes entreprises françaises côtées en bourse. Ils sont consacrés à presque 68% aux dividendes - un pourcentage qui n’était « que » de 30% dans les années 2000 et de 10% en 1970. Un record planétaire comparé aux autres places boursières : 60% au Royaume-Uni, 55% de moyenne en Europe, 48% aux Etats-Unis… Autant dire que ces entreprises ont dû déployer de grandes manoeuvres pour y parvenir alors que l’activité économique était en crise à partir de 2008.

1/ Le blocage des salaires

La premier subterfuge consiste évidemment à jouer sur la modération salariale, imposée aux salariés, pas aux PDG qui affichent des revenus 119 fois supérieurs à la moyenne salariale de leur entreprise. Si les échelles de salaire sont difficiles à découvrir, l’ONG Oxfam est parvenue à les restituer pour établir que Carrefour, par exemple, propose un salaire annuel brut moyen de 16.000 euros. Un chiffre abscons ? Divisé par 12, cela donne 1.333 euros brut mensuel. Pour Danone, il est de 23.906 euros, soit 1.992 euros brut par mois. Des chiffres bien en deçà de la moyenne nationale qui se situe à 2.998 euros.

2/ Les licenciements abusifs

Deuxième levier : les licenciements. La crise a en effet bon dos pour annoncer des plans massifs et injustifiés. En 2013, Danone a licencié 900 personnes alors qu’elle a distribué 1,6 milliard de dividendes, Sanofi a supprimé 800 emplois mais dégagé 5,3 milliards pour les actionnaires. En 2011, la BNP a supprimé 373 emplois attribuant dans le même temps 3 milliards.

3/ Le contournemet de l’impôt

Troisième ressort : échapper à l’impôt ou le contourner pour augmenter les bénéfices. Entre 2009 et 2016, le nombre de filiales du CAC 40 installées dans les paradis fiscaux a augmenté de 20%, filiales rarement déclarées pour des entreprises qui, au final, affichent un taux d’imposition parfois inférieur à celui en vigueur en France. Ainsi pour Sanofi un taux de 22% quand le taux français est de 33%. L’ONG Oxfam remarque également que le CAC 40 ne mentionne que très rarement dans ses documents comptables les milliards du Crédit impôt compétitivité emploi et du Crédit impôt recherche du gouvernement, et sans jamais en donner le détail de son utilisation.

4/ Le refus d’investir

Quatrième ficelle : baisser massivement les investissements. Ceux-ci n’ont été que de 27,3% sur la période. Une moyenne. Car en 2011 (année où les bénéfices chutent de 10%) les dividendes versés augmentent quand même de 15%, et les investissements, eux, baissent de… 38% !

5/ Le recours à l’endettement

Dernier subterfuge : contraindre l’entreprise à l’endettement pour satisfaire l’actionnaire faute de bénéfices suffisants. Engie a versé 27,6 milliards de dividendes à ses actionnaires avec 8,4 milliards de bénéfices entre 2009 et 2016. Idem pour Véolia (3,6 milliards et 3,2 milliards de bénéfices) et ArcelorMittal (3,4 milliards et 7,4 milliards de perte).

Démonstration est faite que, faible ou forte, la croissance est ava- lée par les profits…

Angélique Schaller  (La Marseillaise, le 15 mai 2018)

La bourse ne finance plus les entreprises, c'est l’inverse…

Il est un fait : c'est toujours le monde du travail qui paie in-fine ce que l'économiste Frédéric Lordon appelle l'ébriété de la finance. « Car, invariablement, la dégringolade des marchés frappe les banques, donc le crédit, puis l’investissement, la croissance… et l’emploi ». La boucle se boucle qui part d'un vol sur le travail et finit par une ardoise à payer par les travailleurs eux-mêmes. Les chiffres livrés ici le démontrent sans ambiguîté. La bourse finance les entreprises ? « Ce sont plutôt les entreprises qui financent la Bourse ! »  rétorque Frédéric Lordon. Et d'expliquer que « le capital actionnarial atteint (…) des sommets car, imposant des normes de rentabilité financière exorbitantes, il force à abandonner bon nombre de projets industriels… ». Ainsi passe-t-on d'une économie de la production à une économie de la rente. Où l'on voit des entreprises qui pour verser des dividendes à leurs actionnaires, ses pirates des temps modernes, s’endettent… « Dorénavant, ce qui sort des entreprises vers les investisseurs l’emporte sur ce qui fait mouvement en sens inverse… et donnait son sens et sa légitimité à l’institution boursière. » Au fond se réalise ici le grand rêve capitaliste moderne qui trouve usant de devoir encore produire, avoir des salariés, bref devoir s'activer un minimum pour gagner de l'argent. La bourgeoisie financière doit céder sa place à une aristocratie tout aussi financière mais qui ne veut plus s'embarrasser avec le travail, fût-il fait par les autres. Comme un retour à la case départ féodale.

C'est au fond ce « vertige de vouloir faire de l’argent sans l’intermédiaire du procès de production » que Marx décrivait déjà il a 150 ans.

Frédéric Durand (La Marseillaise, le 15 mai 2018)

La France championne du monde de distribution de dividendes

le 15 May 2018

La France championne du monde de distribution de dividendes

La France est devenue la championne du monde en matière de distribution de dividendes aux actionnaires, affirme un rapport de l’ONG Oxfam publié hier, dont la méthodologie est toutefois critiquée par certains observateurs.

Selon ce document intitulé « CAC 40 : des profits sans partage », réalisé avec le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), « la France est le pays au monde où les entreprises cotées en Bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires ».

Les groupes du CAC 40 ont ainsi redistribué à leurs actionnaires les deux tiers de leurs bénéfices entre 2009 -année de la crise financière mondiale- et 2016, soit deux fois plus que dans les années 2000, selon la même source.

« Au détriment des salariés »

Cela a conduit ces entreprises à ne laisser « que 27,3% au réinvestissement et 5,3% aux salariés », ont calculé les ONG, dénonçant des choix économiques qui nourrissent une « véritable spirale des inégalités ». « Les richesses n’ont jamais été aussi mal partagées depuis la crise au sein des grands groupes, qui choisissent délibérément une course aux résultats de court terme pour conforter les actionnaires et les grands patrons au détriment des salariés et de l’investissement », explique Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam France.

L’Indépendant, le 15 mai 2018